La crise épidémique actuelle a impacté et impactera encore les délais d’exécution des entreprises du secteur de la construction. Après une période d’arrêt d’une grande partie des chantiers publics et privés, le temps que le guide des préconisations de l’OPPBTP ne vienne préciser les conditions sanitaires de reprise des travaux, l’heure est désormais à la reprise.
Pourtant, c’est bien l’ensemble des délais d’exécution qui seront durablement impactés, que ce soit par cette période d’arrêt de travaux ou de chantier, ou par les futures pertes de rendement liées à la mise en place des mesures sanitaires de protection (travail en mode dégradé). S’il est difficile d’en mesurer d’ores et déjà l’impact, les conséquences de ce contexte pourront affecter l’exécution des marchés jusqu’à l’établissement des décomptes, en raison notamment du risque de pénalités de retard.
Pour protéger les entreprises durant la période d’état d’urgence sanitaire, les pouvoirs publics ont adopté un certain nombre de mesures. Les dispositifs diffèrent selon qu’il s’agit d’un marché public ou d’un marché privé.
Précision préalable : l’état d’urgence sanitaire
L’article 4 de la loi du 23 mars 2020 « d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 » a déclaré un « état d’urgence sanitaire » pour une durée de deux mois. A ce jour, il est prévu pour s’achever le 24 mai 2020. Il pourra, le cas échéant, être prolongé. Les mesures décrites ci-après sont basées sur l’état d’urgence sanitaire tel qu’il a été défini par cette loi.
Les contrats relevant de la commande publique
L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 relative aux contrats de la commande publique prévoit essentiellement trois mesures. Elles prévalent sur les dispositions contraires des marchés, sauf celles qui seraient plus favorables aux entreprises.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755875&dateTexte=20200421
- Prolongation des délais d’exécution
Les marchés en cours ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 voient leurs délais prolongés jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’une durée de deux mois, dans les cas suivants :
- Si le titulaire ne peut pas respecter le délai d’exécution d’une ou plusieurs obligations du contrat,
- ou si cette exécution en temps et en heure nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive.
- Absence de sanction du titulaire
Le titulaire du marché, qui est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, n’est pas sanctionné notamment :
- Lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ;
- Ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive (ni application de pénalités contractuelles, ni recherche en responsabilité contractuelle).
Remarque : L’application de ces deux mesures n’est donc pas automatique. L’entreprise doit prendre l’initiative de notifier et justifier les raisons pour lesquelles elle n’est pas en mesure d’exécuter son marché ou que les conditions d’exécution feraient peser sur elle une charge « manifestement excessive ». A ce stade, aucun seuil n’a été légalement défini pour permettre de qualifier le caractère manifestement excessif de la charge supportée par l’attributaire du marché.
- Possibilité pour l’acheteur de conclure un marché de substitution pour les besoins urgents seulement
Lorsque le titulaire est empêché d’exécuter, l’acheteur public peut passer un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire des besoins « qui ne peuvent souffrir aucun retard » (besoins urgents). Dans ce cas, l’exécution de ce marché de substitution ne peut pas être réalisée aux frais et risques du titulaire. La responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage ne peut pas non plus être recherchée par l’entreprise à ce titre.
Les marchés privés
Deux ordonnances successives sont notamment venues aménager le jeu des délais et des clauses pénales dans les contrats de droit privé (ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire [—], modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19).
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755875&dateTexte=20200421
Un « rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 » paru au JORF du 16 avril 2020 permet de mieux comprendre le dispositif (difficilement lisible). Il est accessible via le lien suivant :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041800867&categorieLien=id
Création d’une « période juridiquement protégée »
L’ordonnance du 25 mars 2020 précitée a défini une « période juridiquement protégée» qui court à compter du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire (article 1er).
A ce jour, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020, de sorte que la « période juridiquement protégée» s’achèverait un mois plus tard, le 24 juin 2020.
Report du jeu des clauses pénales (pénalités de retard) et résolutoires
Difficilement lisible, l’article 4 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit ce qui suit :
« Les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période définie au I de l’article 1er [NB : la « période juridiquement protégée » – voir ci-dessus].
Si le débiteur n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses produisent leurs effets est reportée d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.
La date à laquelle ces astreintes prennent cours et ces clauses prennent effet, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation, autre que de sommes d’argent, dans un délai déterminé expirant après la période définie au I de l’article 1er [NB : la « période juridiquement protégée »], est reportée d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la fin de cette période.
Le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l’article 1er [NB : la « période juridiquement protégée »]. »
Neutralisation et report des délais arrivant à échéance durant la période protégée
Les clauses contractuelles visant à sanctionner l’inexécution d’une obligation échue dans un délai déterminé (astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires…) sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré durant la « période juridiquement protégée », à savoir entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Le report sera égal à la durée d’exécution du contrat qui a été impactée par les mesures résultant de l’état d’urgence sanitaire (à noter, pour mémoire, que la première version de l’ordonnance prévoyait un report forfaitaire d’un mois après la fin de la période).
Exemples :
- Si une échéance était attendue le 20 mars 2020, c’est-à-dire huit jours après le début de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet, si l’obligation n’est toujours pas exécutée, que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée.
Pour un marché de travaux, si un délai sanctionné par une clause de pénalité expirait le 20 mars 2020, celle-ci se trouve momentanément paralysée. Le délai restant à courir durant la période protégée (soit 8 jours) va recommencer à courir à l’issue de cette période. Les pénalités seront donc encourues 8 jours après la fin de la « période juridiquement protégée » (le 24 juin 2020 à ce jour).
- De même, si une clause résolutoire, résultant d’une obligation née le 1er avril, devait prendre effet, en cas d’inexécution, le 15 avril, ce délai de 15 jours sera reporté à la fin de la période juridiquement protégée pour que le débiteur puisse encore s’acquitter de son obligation avant que la clause résolutoire ne prenne effet.
Délais arrivant à échéance après la période protégée : neutralisation de cette période
Le troisième alinéa de l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 vise à reporter la prise d’effet notamment des clauses pénales (pénalités de retard) prévue à une date postérieure à la fin de la « période juridiquement protégée ». Les pouvoirs publics considèrent, en effet, que certaines entreprises du fait des difficultés imposées par le confinement se trouveront dans l’impossibilité de respecter les échéances auxquelles elles se sont engagées.
Ce report sera calculé, après la fin de la période juridiquement protégée, en fonction de la durée d’exécution du contrat qui a été impactée par les contraintes du confinement.
Ainsi, en présence d’une clause pénale ou d’une astreinte arrivant à échéance après la période juridiquement protégée, si l’entreprise n’a pas exécuté son obligation, la date à laquelle cette clause produit ses effets est reportée, après la fin de cette période, d’une durée égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée (art. 4 – 3ème alinéa).
Exemple :
Si un contrat de travaux antérieur au 12 mars 2020 prévoit la livraison du bâtiment à une date qui échoit après la fin de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant l’éventuelle inexécution de cette obligation ne prendra effet qu’à une date reportée d’une durée égale à la durée de la période juridiquement protégée.
En pratique, si la livraison du bâtiment concerné était prévue le 15 juillet 2020, l’effet de la clause prévoyant des pénalités censée s’appliquer à compter de cette date se trouve reporté de la durée écoulée entre le 12 mars et le 24 juin 2020.
Il s’agit donc de mettre en œuvre un mécanisme neutralisant la « période juridiquement protégée » et en reportant le déclenchement des clauses pénales.
Suspension du cours des pénalités
Enfin, le cours des astreintes et l’application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant cette période.
Exemple :
Des pénalités qui avaient commencé à courir avant la « période juridiquement protégée » sont suspendues durant celle-ci, soit entre le 12 mars et le 24 juin 2020.
Les exemples ci-dessus sont donnés en l’état actuel des textes, lesquels sont susceptibles d’évolution.
Enfin, l’article 5 prévoit également la prolongation des délais pour résilier ou dénoncer une convention, lorsqu’ils expirent durant la période d’urgence sanitaire, de deux mois après la fin de cette période.
***