L’augmentation cette année encore de 20% du coût de traitement des sites d’enfouissement – la troisième en trois ans – et l’augmentation mécanique de la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) condamne les centres de tri à répercuter ces hausses sur leurs clients. Une douloureuse obligation pour ces acteurs du cercle vertueux de l’économie circulaire qui se retrouvent dans une impasse, tant la situation du tri des déchets du BTP en France apparaît bloquée.
Julien Joubert directeur de SERDEX, Thierry de Gaspéris, directeur de Rhône Environnement, et David Hernandez, directeur de DBS, trois acteurs majeurs du recyclage des déchets sur le Rhône, membres de la chambre syndicale, ont bien voulu répondre à nos questions.
Pourquoi cette nouvelle hausse des prix ?
Depuis trois ans les sites d’enfouissement imposent une augmentation d’environ 20€ la tonne, taxes comprises. Il s’agit pour eux d’un ajustement entre la baisse du volume d’accueil des déchets à enfouir imposée par L’État et leur chiffre d’affaires. Ici, à Lyon, nous sommes dépendants d’une seule décharge. Comme la réglementation les oblige à baisser leur tonnage d’acceptation des résidus de déchets, les prix flambent. Résultat, nous devons aller voir nos clients et leur dire : c’est encore 20 % de plus. Alors qu’on leur avait dit l’an passé que c’était la dernière année. Nous ne faisons que répercuter les prix. Que vont faire nos clients ? Ils vont chercher des solutions alternatives avec un grand risque de dérapage…
Et vous êtes obligés de répercuter l’ensemble de cette hausse de prix ?
Oui, pour la plus grande partie, le coût de l’enfouissement, l’augmentation de nos investissements, le durcissement des règlementations ne nous permettent pas d’absorber ces augmentations. Les filières de valorisation sont également en grandes tensions avec des saturations de filières qui ne vont pas dans le bon sens pour une baisse des coûts.
Quels sont les problèmes avec les filières de revalorisation des déchets ?
Une fois les déchets triés dans nos centres, ils partent dans les filières agréées qui traitent les produits recyclables, comme le bois, les plastiques, métaux, plâtres, etc… Le problème aujourd’hui est que ces filières ne suivent pas, elles sont saturées. Et nous stockons sans parvenir à évacuer le flux de matières préparées. La limitation de l’export pour certaines matières recyclables (plastiques, cartons…) et l’inertie pour adapter les outils industriels français contribuent à cette saturation.
La réutilisation ne devrait-elle pas être plus importante ?
Bien sûr. C’est au niveau des filières que cela bloque. Nous, nous ne parvenons pas à évacuer le bois parce que nous travaillons exclusivement avec les panneautiers. Si, au moins, nous avions une valorisation énergétique comme les chaufferies bois B, c’est-à-dire à bois recyclés, cela nous sauverait.
Autre exemple, les chaufferies devraient prendre depuis longtemps des déchets en mélange, mais les traitements de fumées ne sont pas adaptés, alors on stagne… En France, le politique ferme les centres d’enfouissement mais n’aide pas ou ne pousse pas assez à l’ouverture de solutions d’utilisation des produits de recyclage.
Pourquoi ne pas créer vos propres filières de valorisation des déchets ?
D’abord parce que l’Europe s’est désindustrialisée. Sur beaucoup de matières, notamment sur les emballages plastique et carton, nous sommes obligés de sortir du continent pour trouver une filière. À noter aussi que tous les acteurs européens qui ont par exemple voulu investir sur les filières plastique ont échoué, notamment à cause de la Chine, qui a surenchéri sur les prix. Aujourd’hui, ils n’en veulent plus, résultat le plastique part en décharge…
Avec vos centres de tri, vous avez créé un cercle vertueux qui se retrouve bloqué, par l’enfouissement et par la saturation des filières. Quelles sont les solutions ?
L’une des solutions est de trouver des partenariats et développer les filières afin d’être moins dépendants des majors à la tête de décharges. Il faut une réglementation derrière. L’État doit appuyer sur le bouton. Il faut aussi nous aider sur les filières, sur la sensibilisation des collectivités… Pour l’instant par exemple, personne ne vous oblige à utiliser du produit recyclé. Ça va venir, mais pour l’instant rien n’est obligatoire, même s’il y a quand même une vraie volonté de réintroduire de la matière recyclée dans la production. Mais à court terme, la solution serait de ne pas augmenter les prix du traitement en décharge, il y a déjà la TGAP. Et de ne pas infliger de quotas aux centres de tri performants. Que les bons élèves avec des installations modernes et des taux de valorisation élevés voient leurs quotas augmenter et l’inverse pour les mauvais élèves… Les décharges ont l’obligation d’enfouir uniquement du non recyclable. Ils ont donc intérêt à lever les quotas sur des installations qui leur amènent du déchet ultime, parfaitement trié, non valorisable, et baisser les quotas chez les autres.
Cette hausse de prix de 20% pour la troisième année consécutive ne risque-t-elle pas de pousser certains de vos clients à préférer les décharges sauvages ?
En effet c’est un risque, et il y en a déjà de plus en plus. Ce qui n’était vraiment pas le but ! L’autre risque est de voir des opportunistes peu scrupuleux s’immiscer dans ce marché. Plus le marché est tendu, plus les prix sont élevés, et plus nous allons voir des gens malveillants s’incruster et donner une mauvaise vision du métier par de mauvaises pratiques.
Les producteurs de déchets étants responsables jusqu’au traitement final, ils devront être très prudents sur le devenir « effectif » de leurs déchets s’ils ne veulent pas être recherchés en responsabilité en cas de non-respect de la règlementation par leurs prestataires.
Les objectifs fixés par la loi de Transition énergétiquepour la croissance verte (2015) tant en matière de prévention que de recyclage :
- Diminution de 10 % de la production de déchets ménagers et de ceux de certaines activités économiques (dont les déchets alimentaires) d’ici à 2020 ;
- Recyclage de 65 % des déchets non dangereux d’ici à 2025 ;
- Réduction du stockage de 50 % d’ici 2025 ;
- Valorisation de 70 % des déchets du BTP d’ici à 2020 ;
- Obligation de tri pour les producteurs et détenteurs de déchets d’activité économique de papier / carton, métal, plastiques, verre, bois et de déchets organiques ;
- Généralisation d’ici 2025 d’un tri à la source des biodéchets pour tout type de producteurs ;
- Développement des filières à responsabilité élargie des producteurs pour couvrir un plus grand nombre de produits …
Une interview à retrouver dans le Journal du BTP de jeudi 26 novembre 2020.