Christophe Geay : « Le groupe Jeunes a été surpris par la complexité de notre métier »

Vingt-cinq adhérents du groupe Jeunes de la fédération BTP Rhône et Métropole – un peu plus de cent adhérents dont une cinquantaine vraiment actifs – ont visité le jeudi 10 février l’entreprise Oxypur à Genay, spécialisée dans le désamiantage. Ils ont été accueillis par Christophe Geay, 49 ans, qui a créé en 2015 cette entreprise qui compte aujourd’hui neuf salariés. Interview.

Comment êtes-vous « entré », si l’on peut dire, en désamiantage ?

J’ai été confronté au problème du désamiantage dans ma précédente vie professionnelle. Je me suis donc intéressé au sujet, et comme j’avais le projet de créer ma propre société… j’ai choisi ce secteur d’activité.

Vous avez commencé tout seul ?

Je me suis formé en tant qu’encadrant technique amiante et j’ai préparé ensuite mon dossier de certification. Le processus dure environ six mois entre le premier audit documentaire jusqu’à l’audit de premier chantier. Nous avons pu réaliser notre premier chantier en octobre 2015.

Comment avez-vous fait sans revenu pendant six mois ?

Il faut prévoir une trésorerie suffisante. Quant au personnel qui était embauché depuis le premier audit documentaire, il a travaillé en prêt de main d’œuvre.

Il a aussi fallu investir dans du matériel ?

Bien sûr. D’autant que ma politique est d’être propriétaire de l’intégralité de notre matériel de chantier et d’un stock de consommables qui nous permet de réaliser nos travaux sans dépendre de nos fournisseurs. A Genay, nous avons 600 m2 de locaux dont 450 d’entrepôt.

Quelle est votre clientèle ?

Des industriels, des maîtres d’œuvre qui nous consultent pour des projets très variés, et des promoteurs qui démolissent ou réhabilitent. Et enfin quelques marchés publics.

C’est un marché porteur ?

Moins qu’il l’était en 2015. Car il y a eu depuis beaucoup d’entreprises qui se sont lancées dans ce secteur d’activité. En France chaque année, les entreprises de désamiantage enlèvent 500 000 tonnes de plaques de toitures sur les bâtiments industriels ou agricoles, et il y en a environ 40 millions d’installés. Un logement sur deux a de l’amiante, sans parler des bâtiments industriels, les bureaux… Au rythme actuel, nous avons une trentaine d’années d’activité devant nous.

Question d’actualité si l’on peut dire, que faites-vous de vos déchets ?

Il y a 3 500 produits qui peuvent contenir de l’amiante. Chaque déchet est codifié et séparé. On ne mélange pas par exemple de l’amiante-ciment (plaques et conduits), avec des mastics vitriers, des peintures, des colles. Chaque déchet est identifié, emballé, et évacué en décharge par des transporteurs agréés. Il n’y en a pas beaucoup en France. Globalement, ils partent soit vers la Côte d’Or soit vers la Haute-Saône où ils sont enfouis.

Vous êtes entrés à la fédération en 2015 ?

Non, un peu plus de trois ans plus tard. Je ne connaissais pas très bien les services de la fédération, et j’ajoute que quand on crée une entreprise, on est un peu dans un tunnel… J’ai un peu regretté, car dans la phase de démarrage la fédération aurait vraiment pu me rendre service, j’ai dû missionner une avocate en droit social pour m’aider à rédiger mes contrats de travail.

Vous avez intégré le groupe Jeunes tout de suite ?

Oui. Mais aussi la chambre désamiantage, bien sûr, c’est d’ailleurs la seule en France. Dans les chambres, nous sommes entre confrères et concurrents. Je m’y suis d’ailleurs plus impliqué, j’ai par exemple intégré le bureau il y a un an et demi pour m’occuper des questions de formation.

Vous avez convié le groupe à venir visiter votre entreprise. Qu’avez-vous pu lui faire faire, les opérations de désamiantage se déroulent rarement au siège ?

C’est vrai. Nous avons simulé un chantier dans notre dépôt. Une zone de retrait amiante a été installée avec des sas d’accès (sas personnel avec cinq compartiments, sas déchets avec trois compartiments)… Ils ont pu voir toutes les installations avec les extracteurs d’air, les entrées d’air, ils ont pu comprendre ce qu’était réellement un chantier de désamiantage.  Ma collaboratrice Houda Fékir, responsable technique amiante, leur a expliqué la partie préparation des chantiers. Je leur ai pour ma part expliqué la partie chantier, comment on passe du bilan aéraulique prévisionnel au réel, et en quoi consiste une zone de retrait.

Un bilan aéraulique, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit de s’assurer du renouvellement d’air minimum d’une zone de travail. La loi nous impose de renouveler l’air de six à quinze volumes par heure en fonction du niveau d’empoussièrement estimé. Le bilan aéraulique permet d’anticiper les équipements nécessaires à la sécurité du chantier.

Quelles sont les questions que l’on vous a posées ?

Beaucoup de questions autour des diagnostics, la différence entre rapports de repérage amiante avant travaux et un diagnostic avant vente. Sur tous les chantiers de réhabilitation, il faut travailler avec un diagnostic avant travaux. Le maître d’ouvrage a obligation de le faire réaliser et de le divulguer aux entreprises.

Oriane Viguier, présidente du groupe Jeunes : « En rénovation, toutes les entreprises sont amenées à faire appel à un désamianteur »

« La visite a été extrêmement pédagogique ; nous avons été mis en situation avec le sas de contamination recréé pour l’occasion par Christophe. Cela a permis de démontrer à toutes les entreprises présentes qu’elles sont amenées à un moment ou un autre à faire appel à un désamianteur, à partir du moment où elles font de la rénovation ou réhabilitation. (…) Il y a encore une vraie méconnaissance du sujet « désamiantage » ; les adhérents ont donc été très intéressés. C’est notre troisième visite d’entreprise. Après Legros TP, et puis Serdex, où nous avons évoqué le traitement des déchets, un sujet qui parle et réunit tout le monde ».

Les pistes de réflexion de Christophe Geay sur le secteur du désamiantage

« Le rapport de repérage amiante avant travaux ou avant démolition est l’outil de base du désamianteur. Cela devrait être aussi l’outil de base pour toutes les entreprises qui interviennent sur un chantier de réhabilitation ou de démolition. Or la réalisation de ce diagnostic est souvent négligée, ce qui a parfois des conséquences coûteuses, car découvrir de l’amiante en cours de route rallonge les délais et les prix. Il peut y avoir aussi des conséquences dangereuses pour les salariés qui peuvent être exposés à des matériaux non repérés. Il faut donc davantage contrôler ces réalisations de diagnostic avant travaux. Je propose de conditionner l’instruction des permis de construire ou de démolir à la réalisation de ces diagnostics. Cela permettrait aux services de l’État d’être informés en amont des opérations, et ils pourraient faire leurs demandes de complément d’informations avant le démarrage des chantiers, ce qui rendrait les maîtres d’ouvrage plus sereins. »

« Aujourd’hui notre réglementation est la plus contraignante au monde. Elle est utile car elle nous permet de protéger nos salariés, mais aujourd’hui les différentes administrations créent en permanence des réglementations ce qui rend leur application très difficile. A mes yeux, il faut simplifier et rassembler cette réglementation qui s’empile. Le résultat de cette complexité est que l’on assiste à des désamiantages sauvages qui polluent et exposent des salariés. Il faut arrêter d’empiler les textes. C’est contreproductif ».

« Dernier axe, la professionnalisation de notre métier. Il n’y a pas de formation métier au désamiantage. Nous sommes formés à la sécurité, pas au métier. Cela pourrait pourtant permettre de valoriser les compétences de nos salariés, de les étendre, mais aussi de les fidéliser. Il n’existe ni diplôme, ni qualification, nous ne sommes pas visibles auprès des jeunes. A ce titre, au sein de la fédération nous avons monté le premier certificat de qualification professionnelle, délivré au mois de juin dernier. Nous allons le pérenniser. L’idée à terme est que ce certificat devienne une formation de base, initiale, avant même de commencer le métier. »

A lire dans l’édition du Journal du BTP du 3 mars 2022.