Ils soulagent le dos, aident à la manutention, assistent les compagnons qui manient des outils à bout de bras… Depuis quelques années les exosquelettes sont sortis de la science-fiction pour s’installer dans les ateliers, les usines ou sur les chantiers, avec un seul objectif : réduire les risques de troubles musculosquelettiques et sur certaines tâches précises garantir la productivité à long terme minimisant l’absentéisme. Et même si tout progrès de ce type engendre d’autres risques relatifs à la santé, le marché existe, les entrepreneurs sont séduits.
Le succès de la Nuit de l’Exosquelette organisée le jeudi 14 avril dernier au CFA de Dardilly, où plus d’une centaine de personnes s’est retrouvée autour de trois fabricants et un distributeur, en est la preuve. Interviewes croisées de Bertrand Dumont, l’organisateur, et de deux représentants de constructeurs.
Bertrand Dumont est président de L’Office Départemental du BTP. Il dirige Jean GOBBA Vitrerie et Menuiserie, entreprise implantée depuis quatre générations en pays de Tarare.
Pourquoi le sujet des exosquelettes vous intéresse-t-il au point d’organiser une manifestation sur le sujet ?
Parce que je suis un peu nouveau dans le milieu du Bâtiment, cela ne fait que quatre ans, et je me rends bien compte que les outils d’aide à la pose vont être de plus en plus utilisés. Je loue par exemple des grues araignée très compactes afin de soulager mes compagnons pour porter et poser des gros vitrages.
Est-ce que les exosquelettes sont « la » réponse à la pénibilité et la répétitivité des tâches ?
Oui pour la pénibilité. Pour la répétitivité, c’est peut-être un peu plus délicat dans le Bâtiment car nous n’avons jamais tout à fait les mêmes gestes répétitifs.
Qui sont les fabricants ? des start-up ?
Ils ont commencé comme start-up mais ils ne le sont plus aujourd’hui. Exhauss travaille sur le sujet depuis une bonne dizaine d’années, Hilti est un groupe mondial, Japet était une start-up montée par des ingénieurs de l’école Centrale de Lille, et Europe Technologies a racheté Gobio, un distributeur d’exosquelettes.
Cela signifie qu’ils sont déjà ans le monde réel, ils vendent leurs produits ?
Il y a un marché qui se met en place, et qui est d’ailleurs ouvert à d’autres mondes que le Bâtiment, de nombreux métiers sont intéressés par leurs outils. Des hôpitaux par exemple commencent à s’équiper pour soulager leurs salariés des lingeries.
Ce sont des outils encore très chers ?
Cela dépend. Hilti propose par exemple un petit exosquelette qui permet de soulager les bras une fois qu’ils sont en hauteur, notamment pour les peintres et les plaquistes, un système relativement léger qui coûte 1500 euros hors contrat de maintenance. D’autres outils ont des prix qui varient entre 5 et 7000 euros.
En tant que chef d’entreprise, êtes-vous prêt à franchir le pas ?
La difficulté, c’est le manque d’aides au financement, ce qui freine sans doute les investissements en la matière. Mais je pense qu’on y viendra. Surtout pour les problèmes de dos. Pas vraiment pour donner de la force aux poseurs mais pour éviter les mauvais mouvements.
Est-ce que vos compagnons sont demandeurs ?
Pas encore, sans doute parce que les informations sur le sujet sont encore rares. Cela dit, ils apprécient quand nous mettons en œuvre des grues d’aide à la pose sur certains chantiers, c’est un signe d’adhésion.
L’exosquelette peut-il faire évoluer l’image des métiers du BTP ?
C’est un plus, mais ce n’est pas suffisant pour résoudre nos problèmes de recrutement.
Pour vous, l’exosquelette c’est pour demain ?
C’est déjà pour aujourd’hui. Comme tout nouveau marché, certains vont vite se décanter parce que l’intérêt est validé. Pour les peintres et plaquistes, l’intérêt est quasiment immédiat. Pour ceux qui ont des charges à porter, des grosses perceuses à tenir à bout de bras, les solutions sont déjà valables et les commandes s’accumulent.
Pierre Davezac : « Nous avons potentiellement une cinquantaine d’exosquelettes différents »
Pierre Davezac est le fondateur et dirigeant de la société française Exhauss, créée en 2013.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans la création d’exosquelette ?
Nous sommes partis d’un savoir-faire que nous avions depuis 2003 sur les stabilisateurs de caméras, qui sont des harnais avec des bras sur lesquels on fixe une ou deux caméras pour un poids total qui peut atteindre 50kg. Il y a une dizaine d’années, alors que nous cherchions un relais de croissance, nous avons décliné ces appareils sur un usage BTP en remplaçant la caméra par un burineur. Un marché s’est aussitôt construit auprès des majors.
Combien avez-vous aujourd’hui d’exosquelettes proposés à la vente ?
Nous n’avons pas un ou deux modèles standards sur étagère mais trois gammes d’exos composées de briques élémentaires qui s’assemblent modulairement pour créer des exosquelettes sur mesure en fonction des cas d’usage. Nous avons ainsi potentiellement une cinquantaine d’exosquelettes différents nous permettant de servir quasiment tous les cas pour lesquels on nous sollicite. Notre modèle consiste à étudier le besoin d’abord pour y répondre au plus juste avec l’exosquelette ad hoc. Nos missions sont à la fois celles de l’architecte et du constructeur.
Combien ils coûtent en moyenne ?
De 5 à 9000 euros.
Il y a beaucoup d’électronique, d’intelligence artificielle, dans vos produits ?
Ce n’est pas notre approche pour le moment. Ce n’est pas mûr et cela ne le sera pas avant sept-huit ans. Nous utilisons des composants à énergie passive comme des ressorts, des vérins voire des tendeurs en latex, le tout associé à énormément de géométrie.
La spécificité de votre matériel c’est à la fois de soulager mais aussi d’amener de la force ?
De fait oui. Nos exos confèrent vingt-cinq kilos de force de soulèvement supplémentaire. Mais on rechigne à parler aujourd’hui d’homme « augmenté » en matière d’exosquelette, bien que l’endurance notamment est augmentée factuellement. Il s’agit de conserver les acquis de ces vingt dernières années en termes de charge maximum, de gestes et postures, de santé et sécurité au travail, la fatigue physique en moins. Je n’ai d’ailleurs jamais vu de clients se tourner vers nous pour augmenter des charges ou des cadences. Leur démarche consiste à conserver leurs opérateurs dans la meilleure forme possible, dans la durée.
Tous les domaines d’activité sont aujourd’hui concernés par l’utilisation des exosquelettes ?
L’industrie est venue assez tôt, suivie de la logistique où les besoins sont très importants, nous avons aussi travaillé pour les bûcherons par exemple, et nous sommes actuellement sur des projets pour les forces spéciales, BRI, RAID et GIGN, notamment pour le port des boucliers balistiques qui pèsent 25 kilos.
Le marché explose ?
C’est un marché encore très prudent, à l’aube de notre dixième anniversaire ! L’exosquelette est un outil tourné vers le futur, le futur de la santé de l’opérateur au travail. Or nous traversons une époque si compliquée et incertaine que ces sujets d’avenir sont frappés, selon moi, d’attentisme. L’enthousiasme débordant d’il y a neuf ans est un peu retombé, en partie aussi parce que l’offre a été au début un peu de toute nature.
Corentin Walker : « Notre exosquelette ne rend pas plus fort, mais il préserve le dos »
Corentin Walker est Expert Produit chez Japet, une société lilloise créée en 2016 par deux ingénieurs qui commercialise un seul produit conçu pour soulager le dos, le Japet W.
Quelle est la spécificité de l’exosquelette que vous proposez ?
Notre exosquelette ne va pas assister une tâche ou une activité, il ne rend pas plus fort, mais il va préserver le dos. Il ressemble à une grosse ceinture lombaire avec quatre vérins, deux de chaque côté. Les vérins ont deux objectifs : le premier, prendre appuis sur les hanches et venir étirer le dos, pour enlever de la pression au niveau des disques intervertébraux, et jouer le rôle d’amortisseur à la place du dos. Le second objectif est d’accompagner le mouvement pour sécuriser les différentes postures et éviter le faux mouvement.
Vous avez un médecin parmi vos cofondateurs ?
Non, mais nous travaillons depuis le début avec deux médecins, un chef du service de rééducation et un neurochirurgien spécialiste du dos, d’une clinique lilloise. C’est avec eux que nous avons développé notre exosquelette qui visait à la base le monde de la rééducation.
Et aujourd’hui vous visez quels domaines d’activité ?
Les maux de dos concernent tous les corps de métiers. Nous avons poursuivi avec le monde de la logistique, et ensuite l’agro-alimentaire, le service à la personne, industrie automobile et aujourd’hui le monde du BTP. Le but est d’éviter les arrêts et les accidents de travail et de garder les personnels dans leur emploi. C’est une partie curative essentielle. Si un membre du personnel souffre du dos, notre outil permet de le soulager et le laisser dans son emploi avec son expérience. L’autre volet c’est la prévention. Beaucoup d’entreprises ont pris contact avec nous pour des postes de travail aux problématiques avérées.
Combien coûte-t-il ?
Aux alentours de 7000 euros. C’est un exosquelette actif avec une petite batterie, une partie électronique qui permet d’alimenter les vérins, de l’intelligence artificielle, c’est plus cher évidemment qu’un exosquelette passif.
Vous en avez vendu combien à ce jour ?
Environ 400. Nous avons un gros marché sur la France et nous commençons à distribuer le produit à l’international, Belgique, Allemagne, Italie.
Votre problème est que les vertus de votre exosquelette n’apparaissent pas tout de suite…
Sur quelqu’un qui a mal au dos, les résultats sont immédiats. Sur la partie prévention vous avez raison, il faut se projeter à moyen long terme, accompagner l’intégration avec les utilisateurs pour un suivi personnalisé.