Norbert Fontanel : « l’équation actuelle consiste à protéger notre outil industriel tout en limitant les pertes »

Norbert Fontanel est vice-président en charge de l’Économie de la fédération BTP Rhône et Métropole, et président de la section « Clos couvert ». Il dirige le groupe Fontanel avec son frère Jocelyn.

Comment les entreprises du Bâtiment abordent cette rentrée dans ce contexte de hausse des coûts des matériaux, de l’énergie, etc.. ?

Notre vocation est de nous adapter, c’est ce que nous faisons avec parfois le sentiment que ce sont surtout nos entreprises qui supportent les hausses des prix et des coûts. Nous traversons aujourd’hui une période vraiment tendue. Et si nos carnets de commande font bonne figure, c’est surtout le signe que les entreprises choisissent de travailler à marge basse plutôt que de prendre le risque d’être à l’arrêt.

Cela signifie que vous ne parvenez toujours pas à répercuter les hausses de vos coûts sur vos devis ?

En effet. Notamment pour certains métiers du Bâtiment qui connaissent de longs délais entre la signature de leur contrat et le démarrage du chantier. Avec une inflation à plus de 6%, ne pas pouvoir répercuter les hausses des prix devient parfois intenable. Avec les donneurs d’ordre privés, nous négocions au cas par cas, sur une partie seulement de ces hausses, avec trop peu d’accords. Pour les marchés publics, nous actualisons seulement sur 75 à 85% du prix en fonction du dernier indice connu, indice qui peut être en décalage de plusieurs mois sur la hausse réelle des couts matière. C’est mieux que rien, mais cela reste insuffisant.

Est-ce que les entreprises connaissent encore des épisodes de pénurie sur certains matériaux ?

Sur les composants électroniques et électriques, la situation reste compliquée. Pour l’acier, ou la brique qui a connu des périodes de rationnement, et le bois, les choses sont apaisées même si les délais restent longs. Nous avons tous été impactés par cette problématique de l’approvisionnement, tous les chantiers ont pris du retard.

L’inflation a pour corollaire une hausse des salaires, les entreprises du Bâtiment se sont-elles déjà engagées sur le sujet ?

Oui. L’inflation a toujours une répercussion sur la masse salariale. Les révisions des salaires ont eu lieu en cours d’année ou se feront en tout début d’année prochaine. Le SMIC, lui, augmente mécaniquement en cas d’inflation.

Inflation et augmentation de la masse salariale, marges rognées, dans quel état se trouvent les trésoreries des entreprises du Bâtiment ?

Entre les années 2000 et 2020, il n’y avait eu pratiquement aucune défaillance d’entreprises. Aujourd’hui, le phénomène reprend et ne touche pas seulement les petites structures. Nos entreprises sont en danger, il ne faut pas craindre de le dire. Et celles qui doivent rembourser leur dette sur leurs résultats futurs – par exemple en cas de transmission d’entreprise – se trouvent les plus menacées, car les résultats, justement, ne sont pas au rendez-vous avec la crise.

Est-ce que certains d’entre vous travaillent à zéro marge ?

Pire, nous avons des chantiers sur lesquels nous sommes négatifs, ceux que nous avons signés à prix ferme et non révisables. Il faut alors plusieurs chantiers à petite marge pour récupérer ce qui a été perdu ailleurs. Avec la hausse des aciers et des fournitures, de nombreuses entreprises ont fini le premier semestre en négatif.

Et pourtant l’activité est bonne ?

Oui, nous générons du chiffre d’affaires mais je le répète, peu ou pas de résultat net. C’est notre dilemme actuel :  plus nous travaillons, plus nous perdons de l’argent. Mais si nous ne travaillons pas, nous mettons en péril notre outil industriel. L’équation consiste donc à protéger notre outil industriel tout en limitant les pertes, en espérant pour les mois à venir un contexte plus favorable. C’est un exercice de haute voltige pour les chefs d’entreprise.

C’est toujours la construction neuve qui mène l’activité ou cela devient la rénovation-réhabilitation ?

La construction continue à tenir son cap hors de Lyon même si nous prenons un retard qu’il faudra bien rattraper un jour. Nous sommes repartis travailler un peu plus loin, ce qui engendre quelques surcoûts liés aux frais de déplacements. De son côté, la rénovation fonctionne bien, en particulier pour les artisans. Les plus grosses entreprises, elles, comptent sur les bailleurs sociaux. Nous sommes dans une bonne spirale en rénovation-réhabilitation, mais les chantiers ne permettent pas un amortissement de nos outils industriels comparable à ce qu’engendre la création de logements neufs.

Avez-vous une solution qui permettrait de s’en sortir ?

Pour aller au combat, il faut des troupes. Or nous manquons de troupes pour relever les défis posés par le contexte économique. Ce n’est pas une solution mais plutôt un constat. Si nous manquons de main d’œuvre, la durée des chantiers s’allonge, et avec elle, la durée des frais fixes – comme la location de matériel – et nous nous retrouvons sur ce point aussi en grande difficulté.

Sur l’inflation du prix des matériaux, disposez-vous d’informations encourageantes que vous auraient glissé vos fournisseurs ?

Il semble que nous allons enfin parvenir à un palier. Mais je ne suis pas sûr que l’on voie les prix baisser. Notre gros souci aujourd’hui est le manque de visibilité. Je ne connais personne parmi mes collègues capables de me présenter un plan à trois ou cinq ans. On ne peut que coller au terrain, et tenter de mettre nos entreprises en situation de regagner de l’argent. A nous d’être astucieux.