Joëlle Fanton : « Nous ne faisons pas de différences entre les genres, seule la motivation nous intéresse »

La fédération BTP Rhône et Métropole a décidé cette semaine marquée par la Journée internationale du Droit des Femmes de donner la parole à deux d’entre elles engagées dans les métiers du Bâtiment ou des Travaux Publics.
Sur les chantiers et dans les bureaux d’études, à la tête de leur entreprise ou indispensables codirigeantes aux côtés de leur époux artisan, elles sont de plus en plus nombreuses à se lancer dans des métiers réputés réservés aux hommes. Et même si elles demeurent encore peu nombreuses sur le terrain, les chefs d’entreprise se les arrachent.


Joëlle Fanton, vient de reprendre avec deux de ses collègues – Neçari Koçak et Laurent Chavroche – la société Bourdin, une entreprise de plâtrerie-peinture située à Vernaison. Une entreprise d’une cinquantaine de salariés, dont quarante sur le terrain, connue et reconnue dans le monde du Bâtiment. Bourdin a une petite sœur, BC Plafonds, spécialisée dans le faux-plafond.

Quand et pourquoi avez-vous rejoint la société Bourdin ?

Je suis arrivée à l’âge de dix-neuf ans après mon Bac S et une mauvaise expérience dans une fac de psycho. J’ai eu l’opportunité de rejoindre en cours d’année une session de BTS « assistance de gestion » qui se faisait en alternance sur 18 mois, que j’ai pu suivre chez Bourdin. A l’époque, le milieu du Bâtiment que je ne connaissais pas ne me faisait pas particulièrement rêver, mais je ne voulais pas perdre mon année, alors j’ai foncé.

Et cela s’est bien passé puisque vous y êtes encore ?

Je suis tombée par chance sur une femme exceptionnelle, Nicole Berger, qui a dirigé l’entreprise pendant de nombreuses années. Elle m’a orientée sur la comptabilité. Du coup, j’ai passé un diplôme en candidat libre, le DPECF, qui m’a ouvert les portes du DECF (Diplôme d’Études Comptables et Financières) que l’entreprise m’a permis de suivre en formation continue. Et enfin le DESCF (Diplôme d’Études Supérieures Comptables et Financières) en candidat libre.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’entreprise ?

J’ai tout de suite apprécié le côté familial de cette entreprise de plus de 150 ans aujourd’hui. Nous travaillons tous ensemble dans un but commun, chacun à sa chance, ceux qui veulent progresser sont accompagnés… J’ai assez vite eu l’impression d’avoir une seconde famille.

Il y avait d’autres femmes chez Bourdin lorsque vous êtes arrivée ?

Oui, deux. Nous avons aussi eu deux femmes peintre, nous leur faisions réaliser des travaux parfois délicats, comme la pose de papier-peint ou revêtements, mais cela date un peu. Nous sommes d’ailleurs très ouverts pour recevoir des candidatures de femmes pour des postes de chantier. Leur approche apporte un plus, au niveau des finitions, de l’esthétisme, du travail soigné… En 2019, nous avons embauché une jeune femme au bureau d’études, à l’issue de son apprentissage. Son intégration au sein du pôle technique s’est faite naturellement. Et cette année, nous lui avons adjoint un apprenti-homme.

En fait, nous ne faisons pas de différences entre les genres, seule la motivation nous intéresse. L’entreprise a toujours pris beaucoup d’apprentis – entre quatre et six chaque année – c’est une tradition que nous faisons perdurer. Nous y sommes très attachés : plus de la moitié de l’effectif est issu de l’apprentissage, dont mes deux associés et moi-même.

Vous êtes co-dirigeante depuis 2022 de la société avec vos deux camarades. Comment cela s’est passé ?

Nous avons repris l’entreprise dans un contexte particulier, puisque notre ancien dirigeant Pierre Palley est subitement décédé en 2020. Il en était question avant, mais les choses se sont évidemment accélérées. Nous avons dû faire face à de nombreux défis ; la direction reposait beaucoup sur les épaules de Pierre Palley. Il a fallu que nous nous posions pour définir des stratégies, des objectifs communs, des valeurs communes, qui nous correspondent. Nous nous entendons très bien, c’est notre chance. J’ajoute que nous avons repris la société en pleine période de Covid, le contexte nous a définitivement soudés.

Comment se porte l’activité ?

Nous travaillons surtout pour la grosse promotion privée et les particuliers. Nous avons la chance d’avoir une très bonne réputation pour la qualité de notre travail, ce qui nous permet de tirer notre épingle du jeu. L’activité sera bonne en 2023 ; 2024 est plus incertain. Notre visibilité est de douze à quinze mois, c’est habituel pour les chantiers d’importance.

Nous sommes dans la semaine des Droits des Femmes. Avez-vous eu à vous battre pour ces droits ?

Je l’ai dit, j’ai eu la chance de marcher dans les traces de Nicole Berger qui était la dirigeante de Bourdin, donc personne dans l’entreprise ne se pose de question de légitimité. Le fait d’être deux hommes et une femme à la tête de la société apporte sans doute un équilibre, nous ne sommes pas dans le même registre. Chacun a son tempérament, qui n’est d’ailleurs pas lié au sexe. A mon niveau, non, je n’ai pas eu à me battre pour être acceptée.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir sur l’emploi des femmes dans le Bâtiment ?

J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de candidates, notamment à des postes de conducteurs de travaux. Ce sera très bien pour la profession. Sur le terrain, les candidates sont l’exception. Il faudrait que les mentalités changent. Le Bâtiment n’est pas un secteur réservé aux hommes, et les femmes peuvent parfaitement s’y épanouir ! 

A lire dans l’édition du Journal du BTP du 9 mars 2023