Ce n’est plus un effet de mode. Calculer son bilan carbone ou plutôt celui de son entreprise, c’est-à-dire évaluer avec précision ses émissions de gaz à effet de serre, est une démarche devenue courante et même obligatoire pour les entreprises de plus de 500 salariés, les grosses collectivités territoriales et établissements publics. L’an prochain le seuil de la réglementation descendra à 250 salariés pour les entreprises.
Au-delà de la philosophie personnelle de chacun sur le sujet du réchauffement climatique, dirigeant comme salarié, le chef d’entreprise se retrouve aujourd’hui invité – le mot est faible – à s’intéresser et s’informer sur le bilan carbone, évaluation et mise en œuvre.
Les objectifs politiques pour réduire les émissions des gaz à effet de serre se resserrent chaque année, les marchés publics et privés réclament de plus en plus de critères vertueux en la matière, les hausses des prix de l’énergie, les ZFE, les manques d’eau et bien d’autres sujets, poussent à l’action.
Au niveau national, les fédérations du Bâtiment et des Travaux Publics ont depuis longtemps décidé d’accompagner leurs adhérents sur ces enjeux. Elles proposent des outils comme Bati Carbone ou Oméga TP, outils gratuits et en ligne qui permettent de réaliser un premier bilan carbone d’un chantier ou de son activité.
Dans ce contexte, la fédération BTP Rhône et Métropole a décidé d’organiser mi-mai une matinale d’information qui a connu un beau succès d’audience. Avec l’idée de donner aux chefs d’entreprise présents des codes de lecture et de réponses à la masse incroyable d’informations existantes sur le bilan carbone.
Pour éclairer les représentants des entreprises présents lors de cette matinale, Clémentine Meilland (SAMI) et Marine Fouquet (We Count), expertes en bilan carbone, sont venues présenter leurs dispositifs accompagnant les entreprises dans la mise en place d’une stratégie et d’un plan d’action. Interviewes.
Marine Fouquet, We Count : « Les entrepreneurs du BTP ont une connaissance et une envie partagée de faire »
Marine Fouquet est associée chez We Count, une entreprise lyonnaise de 17 personnes dont le but « est de proposer une formation et de l’accompagnement aux entreprises et leurs collaborateurs pour les rendre autonomes sur les questions de bilan carbone et de stratégies climat ».
Quel était l’objet de votre intervention ?
Je suis venue présenter les enjeux, pourquoi il est important que le secteur du BTP se pose la question du bilan carbone et de la stratégie Climat. Il s’agit d’un des secteurs qui est le plus émetteur au monde et en France, très à risque sur le changement climatique. Les infrastructures seront plus souvent sous tension avec par exemple les vagues de chaleur, avec le retrait-gonflement des argiles, les phénomènes climatiques de plus en plus intenses… C’est un sujet qu’il faut donc anticiper, d’autant qu’il y a en la matière des objectifs nationaux et internationaux, une réglementation de plus en plus poussée, il faut donc transformer les contraintes présentes et à venir en opportunités. Car pour les entreprises ces sujets sont aussi des opportunités de business et de transformations.
Quel est votre ressenti à l’issue de la matinale ?
Tous les participants étaient intéressés, et j’ai trouvé qu’il n’y avait pas de différents niveaux de maturité sur le sujet. Certains étaient en avance, d’autres en sont aux prémices, mais il y a une connaissance et une envie partagée de faire. Il y a déjà beaucoup d’actions mises en place par les entreprises. Ce qui leur manque c’est peut-être un outil pour donner de la cohérence à ce qu’ils font et savoir comment communiquer. Il y a un besoin de structuration. Et c’est bien normal puisqu’ils en sont au début.
Clémentine Meilland, SAMI : « les entreprises font déjà beaucoup de choses sans mesurer leurs efforts »
Clémentine Meilland est directrice des partenariats chez SAMI, une entreprise de plus de 60 salariés répartis partout en France dont un bureau à Lyon, dont le but est d’accompagner les entreprises dans leur stratégie Climat, avec comme première étape le bilan carbone. Son ambition est de faire passer à l’action un maximum d’entreprises.
Quel était l’objet de votre intervention ?
J’ai souhaité évoquer de façon très concrète le bilan carbone. Pourquoi il est intéressant pour une entreprise et comment procéder pour le faire. J’ai insisté sur la problématique de la dépendance aux émissions de gaz à effet de serre, j’ai voulu démythifier le sujet, chasser la peur des entreprises d’être un mauvais élève. Faire son bilan carbone est surtout un moyen de diagnostiquer et d’évaluer sa dépendance. J’ai également expliqué que l’objet du bilan carbone est avant tout de décarboner : on mesure sa dépendance et ensuite on essaie de la réduire avec des plans d’action et des outils permettant d’activer des leviers hyper concrets pour les entreprises.
Pourquoi faut-il que les entreprises s’y engagent rapidement ?
Il y a quatre grandes raisons. Il y a une dimension éthique dans le fait de réaliser un bilan carbone, on n’insiste pas assez sur ce point, surtout en tant que chef d’entreprise, puisque l’on dispose d’un pouvoir d’action plus étendu que celui du simple citoyen. Il faut donc sensibiliser les chefs d’entreprise à leur responsabilité au sens noble du terme. Il peut y avoir aussi une notion de compétitivité ; de plus en plus de marchés publics conditionnent le calcul de l’impact carbone aux appels d’offre. Troisième raison, il est nécessaire d’anticiper la réglementation – les entreprises de 250 salariés seront par exemple obligées de faire leur bilan carbone à partir de l’année prochaine. Et enfin les actions menées pour décarboner peuvent participer à la « marque employeur » et aider à attirer les talents, les fidéliser. J’ajoute un dernier point, les investisseurs sont devenus très regardants sur les critères environnementaux.
Quel est votre ressenti à l’issue de la matinale ?
Les ateliers ont permis de faire émerger plein d‘idées, et de constater que les entreprises font déjà beaucoup de choses sans mesurer leurs efforts. Très peu d’entre elles ont fait un bilan carbone, mais toutes ont déjà réalisé des actions. Pour la ZFE par exemple, mais aussi sur la sensibilisation de leurs nouveaux collaborateurs, sur le choix de certains matériaux, le réemploi, elles le font par bon sens, mais sans penser à le mesurer ou le valoriser.
Retour d’expérience
Sébastien Falcon : « Le bilan carbone a entraîné une forte remise en question du personnel »
Sébastien est chargé d’études chez Albertazzi, une filiale du groupe SERFIM spécialisée dans la pose de canalisations d’eau potable. Albertazzi, qui a trois agences à Lentilly, Bron et Vienne, travaille également dans les domaines de l’assainissement, des réseaux de chaleur et du pompage. Sébastien Falcon est intervenu quelques minutes durant la matinale pour évoquer l’engagement de son entreprise. Extraits.
« La direction du groupe SERFIM a depuis longtemps la volonté de réduire son empreinte environnementale. Albertazzi a donc réalisé son bilan carbone, avec l’aide de la société We Count. (…) De plus en plus de marchés publics ont des critères sur l’impact carbone, il s’agit aussi pour nous d’anticiper l’évolution de la législation, et de proposer aux salariés comme aux nouveaux venus une entreprise attractive sur ce sujet ».
« Le bilan carbone a apporté une cartographie de notre activité sous un angle nouveau. Nous avons appris par exemple que nous émettions 40 TeqCO2 par salarié. Il nous a aussi permis de prendre conscience des postes les plus émissifs. (…) Ainsi 40 à 50% de notre impact carbone provient des fournitures, notamment les tuyaux de fonte, qui sont de loin les fournitures les plus impliquées ».
« Ce bilan carbone a impacté nos choix dans la réalisation des chantiers, avec par exemple la multiplication de l’utilisation des matériaux recyclés. Les résultats ont également amené des réflexions sur le prolongement de la durée de notre parc matériel, sur la mobilité des salariés, avec comme solutions le développement du télétravail, ou le recours aux visioconférences. Nous avons intégré la stratégie de réduction de nos émissions sur notre système qualité (renouvellement matériel, amortissement) ».
« D’une manière générale, notre travail a entraîné une forte remise en question du personnel, avec un impact sur les règles de l’art de nos métiers (matériaux d’apport ; réfection ou non des chaussées ; choix des canalisations). (…) Il y a eu aussi une réflexion sur la gestion des jours de RTT imposés : faut-il ou non les déplacer dans les périodes de canicule ? »
Paroles d’adhérents
Les participants à la matinale sont venus avec la volonté de faire et déjà de nombreuses informations sur le sujet. Voici un verbatim d’interventions recueillies au cours d’un atelier dont l’objet était de répondre à quatre questions, liées entre elles :
- Quelles demandes avez-vous ? Qui les demande ?
- Que faites-vous déjà ?
- Quels sont les freins rencontrés ?
- Comment lever ces freins ?
A la première question, les marchés publics et parfois privés ont été souvent cités comme déclencheurs de la nécessité d’accélérer sur le sujet des émissions de gaz à effets de serre. Une contrainte donc, mais qui correspond souvent à une réelle prise de conscience citoyenne déjà ancrée.
« Les communautés de communes et les collectivités territoriales imposent de plus en plus de critères dans leurs appels d’offre » (Marie-Myriam Favre, Chopin). « Notre entreprise est désengagée des marchés publics, mais nous notons beaucoup plus de demandes d’utilisation de matériaux biosourcés depuis le Covid » (Frédéric Patru, Patru). « Nous répondons à beaucoup d’appels d’offre de la SNCF, souvent très complexes, qui réclament un cercle vertueux. Nous voulons donc nous inscrire dans ce cercle vertueux » (Estelle Carreau, SAS Alain Le NY). « Les demandes émanent des donneurs d’ordre qui veulent suivre le vent, il faut donc nous y mettre. Il y a déjà beaucoup de critères environnementaux sur les marchés publics » (Yann Seyfritz, Fontanel).
A noter dans les interventions la volonté des entreprises de mieux correspondre également aux attentes des jeunes, des apprentis, et plus largement des salariés, même si la démarche bas carbone peut déranger.
La deuxième question a été l’occasion de vérifier que les entreprises du BTP étaient déjà en chemin. Pose de photovoltaïque sur les toits des ateliers et réflexions sur le changement de flotte véhicule pour Chopin ; révision aussi de la flotte des véhicules chez Fontanel. Utilisation des enrobés à température abaissée, et des agrégats dans les enrobés chez MGB. Mise en challenge des fournisseurs sur la qualité des produits, et fournitures locales si possible chez Patru.
Les freins ? « Il faudrait être accompagné par l’État », juge Marie-Myriam Favre qui tient à évaluer les ratios coût-rentabilité. « Il existe des difficultés à dégager des moyens humains sur ces sujets dans les petites entreprises », explique Yann Seyfritz qui note par ailleurs l’urgence à « sensibiliser le personnel ». « Les freins sont financiers. Nous avons besoin d’aides pour accompagner nos démarches » concluent les participants. L’occasion de rappeler que la Métropole et la ville de Lyon en proposent déjà quelques-unes.