Cécile Mazaud : « faire de l’innovation une véritable aide pour les entreprises et les artisans en créant de la valeur »

Cécile Mazaud est la présidente du groupe Mazaud, entreprise générale de bâtiment (Construction neuve et rénovation, Conseil en rénovation énergétique, Ingénierie en éco-conception et formation « Bâtiment durable ») dont le siège est à Villeurbanne (130 personnes). Elle a été nommée en juin dernier présidente de la commission « Innovation » de la Fédération Française du Bâtiment (FFB).

Quelle est la feuille de route que vous a proposée Olivier Salleron ?

En cette période de crise, la commission « Innovation » souhaite inciter et accompagner le changement pour générer de la valeur dans les entreprises et chez nos artisans. La commission anime trois groupes de travail, Construction numérique, Lean et Intelligence artificielle, et développe son plan d’actions Innovation autour de cinq axes forts : accompagner les adhérents dans la crise ; déployer une synergie entre les commissions Innovation régionales, métiers et nationales ; conduire une veille nationale et internationale ; développer des outils d’accompagnement pour aider les adhérents à s’approprier les innovations ; et enfin ancrer la FFB comme un acteur de l’innovation.

Notre objectif est clair : faire de l’innovation une véritable aide pour les entreprises et les artisans.

Dans l’intitulé de votre mission figure aussi la « transition numérique ». Le monde du BTP vous paraît-il en retard en ce domaine ?

Non. L’évolution d’un secteur d’activité prend du temps. Nous devons en effet nous servir de ces nouveaux outils tout en accompagnant le changement. Bien gérer le digital c’est avant tout avoir des outils performants de remontée d’information afin de faciliter la prise de décision du chef d’entreprise. C’est également mettre en place des outils qui simplifient le travail de nos collaborateurs qu’ils soient au bureau ou sur les chantiers (lecture de contrats, gestions des devis et factures, réalisation des comptes rendus, organisation du chantier…). Bref, faire gagner du temps à nos équipes afin qu’elles soient positionnées sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

Mais je ne peux aborder le sujet de la transition numérique sans évoquer la question de la donnée. Elle est au centre de nos discussions car elle se cache partout dans nos entreprises, dans les logiciels, les engins, le matériel électroportatif, et elle est convoitée par de nombreux acteurs. L’analyse de ces données nous permettrait d’améliorer la productivité sur nos chantiers mais également la rotation de nos matériels ainsi que la création de nouveaux services pour nos clients. La donnée aura de plus en plus de valeur dans les années à venir. C’est pour cette raison que nous devons impérativement la conserver dans nos entreprises.

L’innovation n’est pas une question de taille d’entreprise

L’innovation est inscrite dans l’ADN des métiers du BTP depuis que l’acte de construire existe. Quels sont les domaines que vous allez prioriser ?

Les métiers du bâtiment sont inventifs car chaque projet est unique et les besoins multiples. Chaque jour nous devons trouver de nombreuses solutions pour répondre à un planning plus court, à de nouveaux modes constructifs, à un manque de personnel, au manque de place… Nos entreprises travaillent avec l’ensemble de leur écosystème et cette transversalité est une grande richesse. L’innovation se trouve dans de nombreux domaines : le social, la technique, le management, l’économique… La commission se concentre sur trois thématiques majeures de transformation de nos métiers afin d’aider les adhérents à anticiper les changements à venir : l’intelligence artificielle avec la gestion de la donnée, la construction numérique et l’amélioration continue par le Lean.

Comment un artisan qui travaille plus de 60 heures par semaine, peut-il trouver le temps de numériser ses process ? En d’autres termes, l’action de la fédération ne devrait-elle pas être de lui proposer des solutions « clefs en main ».

Nous avons de plus en plus de cas concrets mis en place par des artisans qui nous remontent du terrain. L’innovation n’est pas une question de taille d’entreprise. C’est une question de management et de culture d’entreprise. La créativité chez nos artisans est excellente car ils ont besoin d’outils pragmatiques pour leurs équipes. La solution trouvée doit être rapide, économe et facile à mettre en place. Ils vont bien plus vite dans l’adaptabilité de leur métier qu’une plus grande structure car leur agilité leur permet de décider rapidement. Nous échangeons aujourd’hui avec des artisans qui ont digitalisé l’ensemble de leur processus administratif, qui sont passés au 100% BIM, d’autres qui ont mis en place le Lean sur leurs chantiers ou ont créé des partenariats avec des start up pour organiser leur donnée et générer des services autour de l’IA. Pour répondre plus précisément à votre question, le service « clefs en main », la commission travaille sur des outils d’aide comme la mise en place d’audit, l’accompagnement au management de l’innovation, la création de boîtes à outils…. Nous travaillons de manière transversale avec les différents conseils et commissions de la FFB (conseil des professions, conseil des régions, commission formation et développement des compétences, commission transition écologique et RSE, NdlR) afin de proposer le meilleur service aux adhérents.

Nous ne recrutons plus, il faut séduire

La communication, le site web, les réseaux sociaux, il faut aujourd’hui (ap)paraître sur tous les supports. Mais la véritable pérennité d’une entreprise ne se joue-t-elle pas simplement sur un bon bouche-à-oreille ?

Bien évidemment le bouche-à-oreille est essentiel. La qualité du travail effectué sur nos chantiers et la satisfaction de nos clients sont primordiales. Mais le monde a changé. Nous ne recrutons plus, il faut séduire. Nous devons créer des parcours internes pour nos collaborateurs, leur faire vivre des expériences, travailler sur sa promesse de valeur pour donner du sens et fidéliser. Nous devons développer notre agilité, comprendre l’évolution de nos marchés pour en développer d’autres, améliorer notre rentabilité pour pouvoir investir dans l’avenir. Le rôle du chef d’entreprise est beaucoup plus large et cette situation peut devenir épuisante. C’est pour cette raison que nous devons aller chercher des outils qui nous permettent de moderniser l’image de l’entreprise, de faciliter la prise de décision et de donner du temps aux entrepreneurs et à leurs équipes afin qu’ils puissent lever la tête du guidon.

Les industriels, vos fournisseurs, innovent sans cesse dans la qualité, la technicité, et aujourd’hui la durabilité de leurs produits. Les créateurs de logiciels également. Qu’attendez-vous d’eux ?

Les notions de partenariat et d’intégration sont en train de prendre le pas chez les grandes entreprises mondiales. Nous voyons aujourd’hui des groupes s’associer en fonction de leurs spécialités et créer ensemble un produit ou un service innovant. Chacun dans son domaine d’activité, apporte une plus-value au projet. Il en va de même pour nos artisans et entreprises. Un travail collaboratif avec les fournisseurs et les fabricants peut donner vie à de nouveaux produits. Nous allons probablement voir apparaître de nouveaux modes d’échange et de relations avec nos partenaires dans les années à venir.

Le groupe que vous présidez affiche l’ambition de devenir le leader de la « construction durable » dans la région. En matière de respect de l’environnement, que signifie innover ?

Devenir leader c’est avant tout influencer pour montrer le champ des possibles. Nous entendons trop souvent que tout est compliqué et qu’il est bien trop difficile de changer nos modèles de sociétés. C’est pour cela que l’innovation en faveur de l’environnement nécessite une réflexion globale sur l’ensemble de nos activités avec la volonté de réunir tout notre écosystème afin de contribuer ensemble à accélérer la transition écologique. Seul, nous ne pouvons pas changer les choses, ensemble, nous le pourrons.

Quelques exemples d’actions développées au sein du Groupe Mazaud :

  • Expérimenter et promouvoir les éco matériaux et faire de nos chantiers des béta testeurs de solutions innovantes (techniques, inclusives, digitales, etc.).
  • Développer une offre d’éco-rénovation globale et personnalisée des bâtiments tertiaires pour une meilleure performance environnementale, économique et sociale du bâti.
  • Créer un centre de formation « Construction Durable » nommé Métamorph’Oze à destination de nos collaborateurs puis de tous ceux qui voudront mieux comprendre les enjeux et les défis environnementaux.

A lire dans l’édition du Journal du BTP du 21 septembre 2023

Crédit Photo ©Pascal Montary