Deux, trois, quatre générations et parfois plus encore. Le monde du BTP regorge d’histoires familiales où le mot transmission est écrit en lettres capitales. Transmission de valeurs, de savoir-faire, de l’art de construire tout simplement, synonyme de don de soi, de sens, et de fierté. L’exemple, l’exemplarité des parents artisans ou patrons de TPE, PME voire ETI, est le levier d’engagements qui méritent que l’on s’y attarde. Car si les enfants suivent la voie de leurs parents, ce n’est pas par devoir ou facilité, ou pas seulement, c’est parce que le métier les a séduits.
A la fédération BTP Rhône et Métropole, les sagas familiales de certains adhérents sont connues, d’autre moins. Nous avons donc décidé de vous présenter sous forme de série quelques-unes d’entre elles. Sans jamais perdre de vue l’émotion pour un père ou une mère de voir son ou ses enfants s’impliquer dans l’entreprise pour – un jour – prendre la suite.
Nous sommes dans le Parc d’activités d’Épinay, à Gleizé, Beaujolais. Les bureaux, l’entrepôt, et le terre-plein remplis de machines et autres matériaux prêts à être chargés laissent penser à l’adresse d’une grosse PME. Sur le mur d’entrée, en béton brut évidemment, le logo sur fond orangé de la famille Lefort, maçons de père en fils depuis au moins quatre générations. Frédéric et Patrick Lefort dirigent l’entreprise de gros œuvre en maçonnerie créée par leur père Joël avec son frère Georges en 1969. A l’époque, l’entreprise s’appelait « Lefort Frères », et son siège était à Saint-Julien.
Frédéric et Patrick sont codirigeants. « Frédéric gère toute la partie chantier, je m’occupe des études de prix et de la gestion », explique d’emblée Patrick. « Nous sommes rentrés petit à petit dans l’entreprise. Frédéric en 1996 comme conducteur de travaux, et moi en 2000 en tant que métreur ». Leurs formations respectives ont simplement octroyé leur place dans l’entreprise : un BTS Économie de la Construction pour Patrick, un BTS Conduite de chantier pour Frédéric.
« Les Lefort sont des maçons de la Creuse qui sont venus migrer dans le Beaujolais au début des années 1900. Notre grand-père Georges est venu s’installer à Saint-Julien en tant qu’artisan. Il a pris sa retraite en 1969, mon père Joël et son frère (Georges, comme son père) ont repris la clientèle pour créer l’entreprise « Lefort Frères ».
L’activité était bonne après-guerre, le Beaujolais était une région viticole prospère, et ce jusqu’au début des années 80. Le vin menait l’économie, le développement du territoire nécessitait un grand besoin de maçons. « Mon grand-père travaillait principalement pour des particuliers, des domaines et des exploitations viticoles, dans un périmètre d’une dizaine de kilomètres autour de Saint-Julien où l’entreprise est restée jusqu’en 2004-2005, années de notre installation ici à Gleizé », note Patrick. « Ses quatre enfants ont été maçons ».
Ici les compagnons font carrière
« En 2010, mon père Joël a pris un peu de recul et nous la direction. Il est resté à nos côtés, c’est toute sa vie, avec un poste de conseiller, il nous dépanne sur des petits dossiers et passe de temps à autre sur les chantiers … Certains de nos compagnons le connaissent bien puisque nous avons des équipes fidèles, ils l’ont connu en activité ». Que personne ne soit surpris : les repas de famille, chez les Lefort, sont souvent mono-sujet. Le gros œuvre, le BTP, la construction. La maçonnerie, c’est un métier passion.
Aujourd’hui Lefort SAS, c’est une grosse vingtaine de salariés – ils ont été jusqu’à vingt-cinq – dont deux apprentis et un à deux intérimaires en renfort. Ici, les compagnons font carrière, le turn-over est faible et les carrières longues. « Nous sommes attentifs aux salaires et avantages de nos compagnons surtout dans un contexte d’inflation importante », explique Patrick « et puis nous essayons sans cesse d’améliorer les conditions de travail de la profession en mettant en place de la méthode et de l’équipement, afin de nous aider à réduire la peine. Nous sommes propriétaires de beaucoup de matériel, et n’hésitons pas à louer le bon outil au bon moment ».
Résultat, des équipes soudées, et de l’exemplarité qui permet la formation des plus jeunes sur le terrain. « Nous recrutons sans cesse, mais on ne trouve pas si facilement des maçons, alors nous formons. Nous avons deux apprentis en ce moment, que nous aurions envoyés poursuivre leur formation chez des collègues auparavant mais que nous allons essayer de garder vu le contexte compliqué du recrutement.
« Nous allons être chahutés »
On ne se refait pas. L’un des deux apprentis, en BTS Bâtiment, est un Lefort, le fils de Patrick. « Pour l’instant, ça lui plait bien, il est en poste sur les chantiers. On verra pour la suite ». Frédéric lui, a une fille qui est en école d’architecture et un garçon en bac technique : « il vient travailler ici l’été et aime ça ».
« Aujourd’hui, les jeunes sont un peu noyés dans leurs orientations, ce qui compte c’est qu’ils ne se loupent pas, ils aiment le concret et sont conscients des difficultés. Pendant les stages « découverte », nous leur montrons le monde du BTP, du gros œuvre, après ils verront. Nous disons à nos apprentis que ce qu’ils vont faire se voit et perdure dans le temps, il y a de la fierté. Ce sont de vraies valeurs que peu de métiers peuvent avoir ».
La qualité du travail ? Patrick n’hésite pas à soulever des problématiques de gestion de certains chantiers. Une perte du savoir-faire, aussi bien en étude, qu’en exécution. « Nous dépendons des autres corps d’État pour nos plans d’exécution au démarrage, et ensuite on vit le chantier en continu, c’est parfois dur à gérer ». Même constat sur les dossiers, moins bien étudiés, à cause de problèmes de temps, de moyens, de savoir-faire, avec des incidences sur l’exécution. Et puis la problématique de la sous-traitance tous azimuts que Lefort SAS rechigne à utiliser. Pour les mêmes raisons. Car la qualité du travail fourni est la signature de l’entreprise Lefort. Depuis quatre générations. Il y a un nom à tenir, une réputation.
« Notre force, c’est notre polyvalence. Nos compagnons savent faire du neuf mais aussi de la restauration, de la pierre, du pisé, bref, en termes de qualité, nous sommes reconnus ».
Une réputation qui fonctionne auprès des donneurs d’ordre privés – entreprise et particuliers – qui constituent la moitié environ du chiffre d’affaires aujourd’hui, le reste étant des marchés publics que nous remportons principalement grâce à la note technique. Résultat, l’activité de l’entreprise est bonne. « Nous sommes stables depuis plusieurs années sur un bon niveau. Mais nous sommes conscients qu’elle va baisser, même si nous travaillons très peu pour la promotion. Le secteur du logement, subit actuellement une crise importante ».
Lefort SAS œuvre dans le neuf mais aussi la « restauration » où le ressenti actuel est différent, « mais comme en neuf, c’est la catastrophe annoncée, nous allons être chahutés, c’est sûr ».
A lire dans l’édition du Journal du BTP du 16 novembre 2023
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