Deux, trois, quatre générations et parfois plus encore. Le monde du BTP regorge d’histoires familiales où le mot transmission est écrit en lettres capitales. Transmission de valeurs, de savoir-faire, de l’art de construire tout simplement, synonyme de don de soi, de sens, et de fierté. L’exemple, l’exemplarité des parents artisans ou patrons de TPE, PME voire ETI, est le levier d’engagements qui méritent que l’on s’y attarde. Car si les enfants suivent la voie de leurs parents, ce n’est pas par devoir ou facilité, c’est parce que le métier les a séduits.
A la fédération BTP Rhône et Métropole, les sagas familiales de certains adhérents sont connues, d’autre moins. Nous avons donc décidé de vous présenter sous forme de série quelques-unes d’entre elles. Sans jamais perdre de vue l’émotion pour un père ou une mère de voir son ou ses enfants s’impliquer dans l’entreprise pour – un jour – prendre la suite.
Les bureaux et l’entrepôt sont situés à l’entrée de Lancié, en Beaujolais. Face au parking, un champ de vigne tutoie l’abri où des tuiles sur palettes attendent le chantier qui va les propulser de simples objets en terre cuite en toiture protectrice. Plus loin, en levant le nez, les flancs d’une colline plantée de vignes presque jusqu’à la cime. Devant les portes de l’entrepôt-atelier, une camionnette et des petits camions-bennes siglées « Vouillon et Fils ».
Tout est là. Dans la beauté et la sérénité de ce paysage du Beaujolais, planté de cette vigne qui a tiré l’économie vers le haut pendant des décennies, et donc donné du travail à la famille Vouillon, grand-père, père et fils.
« Mon grand-père François a créé l’entreprise en 1934 », raconte Thierry. « Ses parents travaillaient dans une exploitation agricole à Fleurie. Il a fait son apprentissage de plombier-couvreur-zingueur chez Augoyard avant de se lancer comme artisan, ici, à Lancié, dans une maison qui appartenait à la famille. A la plomberie-couverture-zinguerie, il a ajouté le chauffage ». François travaillait essentiellement pour les particuliers, des voisins à une dizaine de kilomètres à la ronde, et avait décroché l’entretien de la toiture d’un château. Un château, déjà, nous y reviendrons.
Ses quatre enfants, sont tous passés par l’entreprise. « Mon oncle François (A l’époque, il y avait souvent un fils qui héritait du prénom du père), mon père Gérard, mon oncle Maurice, qui a surtout fait du chauffage, et ma tante Lucette qui s’est mariée avec un charpentier-couvreur qui s’est installé à Villars-les-Dombes ».
Gérard, lui, qui avait le niveau bac, est allé faire un grand tour chez Rhône-Poulenc avant de revenir dans les années 60 « parce que ma mère ne se plaisait pas beaucoup en ville ».
Assez vite, Gérard s’impose à la tête de l’entreprise familiale, et se voit proposer de « prendre la suite », comme on dit. Nous sommes en 1976. Une SARL est créée. Les trois frères Vouillon poursuivent ensemble la route tracée par François. Jusqu’à la retraite.
Gérard développe la société, il l’installe dans ses nouveaux locaux situés aux portes du village, lui donne ses lettres de noblesse, en développant notamment sa clientèle de chatelains, et en constituant une équipe de compagnons qui inscriront solidement le nom des Vouillon parmi la crème des charpentiers-couvreurs de la région.
Mais les années passent, et personne parmi les descendances ne se bouscule pour venir travailler sur les toits. « Aujourd’hui les métiers du Bâtiment sont revalorisés, mais à mon époque ce n’était pas très couru. Ce qui explique que ni mes cousins ni moi-même n’étions attirés », explique sobrement Thierry.
Thierry, justement, fils unique, bon élève, fait un DUT Génie Thermique à Belfort puis une école d’ingénieur à Nantes, en Génie Thermique aussi, suivie d’une année de gestion et management à l’IAE Grenoble. « En 1990, je suis venu travailler ici six mois avant le service national, j’ai mis en place l’informatique dans l’entreprise ». Mais une fois le service national en Belgique effectué, où pour la petite histoire Thierry rencontre Marie devenue Madame Vouillon, d’origine hollandaise donc, le chemin pris n’est pas celui de Lancié, loin de là.
Pour lui, ce sera la conception et la construction de stations d’épuration. Dans une grande entreprise, qui a des agences un peu partout dans les régions. Comme son père avant lui, Thierry ne choisit pas d’emblée l’entreprise familiale.
Et c’est moins par sens du devoir que par amour du Beaujolais, c’est plus par choix de vie que choix de carrière, que Thierry Vouillon revient à Lancié.
Le 19 juillet 2004, c’est fait. Le voilà aux manettes de Vouillon et Fils. Avec Gérard à ses côtés, pour la transmission des clefs, dans tous les sens du terme.
« Au départ je ne connaissais pas le métier. J’ai appris avec mon père, et puis avec les compagnons. J’ai commencé par faire des chantiers, et assez rapidement je suis allé voir les clients pour établir les devis. Je connaissais le gros œuvre puisque j’avais construit des stations d’épuration. Et la maîtrise d’œuvre aussi. Mais pour vraiment connaître ce métier, il faut de l’expérience. Mon père est resté longtemps, même si au fur et à mesure il venait de moins en moins. Il a toujours aimé faire son petit tour, l’entreprise c’est toute sa vie. Il faut rappeler qu’il a commencé en 1965 et s’est arrêté de venir depuis un an. Plus de cinquante ans ! »
Une des premières décisions de Thierry sera d’arrêter l’activité chauffage, qui tenait en grande partie grâce à son oncle. « Même si c’était un peu mon métier de base, je ne voulais pas trop me diversifier, je préférais mettre l’accent sur la charpente-couverture, tout en gardant le même nombre de salariés ».
Aujourd’hui, Vouillon et Fils c’est 95% de chantiers en rénovation, surtout pour le privé. « Sauf quand il y a marché public pour une église ou un château » souligne Thierry, qui a encore développé l’appétence de l’entreprise pour tout ce qui touche au patrimoine. C’est devenu une spécialité, une signature, au même titre, toutes proportions gardées, que les Le Ny.
La réputation de Vouillon et Fils – sept salariés dont un apprenti, neuf au total avec le gérant et son assistante – permet de choisir ses chantiers. La maison recrute en permanence, et malgré la pénurie de main d’œuvre dans ce secteur d’activité, deux personnes dont un qui avait un CAP de charpentier, ont été embauchés l’an passé. « Si quelqu’un se présente et qu’il est valable, il y a du travail, et on a tellement du mal à recruter que je prendrais le candidat », confirme Thierry qui connait bien la problématique puisqu’il est président de la chambre de Charpente Couverture à la fédération BTP Rhône et Métropole. L’ADN de l’entreprise, c’est également la volonté d’être très bien équipé, notamment en matériel de levage, et de connaître un très faible turn-over, les derniers départs de l’entreprise depuis près de dix ans correspondant à des retraites et des créations d’entreprise.
Recruter pour continuer à former. Persévérer dans la qualité. Car être « fils de » amène par corollaire une pression supplémentaire. « Une pression liée à la réputation de qualité du travail fourni », juge-t-il. « La difficulté est de faire perdurer. Ma satisfaction est que les clients appellent toujours l’entreprise Vouillon, mais parfois aussi Thierry Vouillon directement ».
Et maintenant, alors qu’il lui reste entre sept et dix ans à diriger l’entreprise ? Ses deux enfants – fille et garçon – sont coaches sportifs. A mille lieues de la charpente-couverture… La quatrième génération est-elle compromise ? Attention, rien n’est écrit. Chez les Vouillon, on revient parfois de loin pour reprendre le chemin de Lancié.
A lire dans l’édition du Journal du BTP du 30 novembre 2023