Deux, trois, quatre générations et parfois plus encore. Le monde du BTP regorge d’histoires familiales où le mot transmission est écrit en lettres capitales. Transmission de valeurs, de savoir-faire, de l’art de construire tout simplement, synonyme de don de soi, de sens, et de fierté. L’exemple, l’exemplarité des parents artisans ou patrons de TPE, PME voire ETI, est le levier d’engagements qui méritent que l’on s’y attarde. Car si les enfants suivent la voie de leurs parents, ce n’est pas par devoir ou facilité, ou pas seulement, c’est parce que le métier les a séduits. A la fédération BTP Rhône et Métropole, les sagas familiales de certains adhérents sont connues, d’autres moins. Nous avons donc décidé de vous présenter sous forme de série quelques-unes d’entre elles. Sans jamais perdre de vue l’émotion pour un père ou une mère de voir son ou ses enfants s’impliquer dans l’entreprise pour – un jour – prendre la suite.
Lionel Rousset : « Cette entreprise, c’est avant tout une belle histoire de famille »
C’est son grand-père Claudius qui a acheté ici, en 1970. Henri, son papa, a agrandi les ateliers et entrepôts en gagnant sur la pente avec des renforts en béton, et pour la transmission avec son fils Lionel, en 2008, il y a lancé la construction des bureaux.
Ici ? Nous sommes chez les Rousset, sur les hauteurs de Saint-Symphorien-sur-Coise, avec une vue superbe sur une partie des Monts du Lyonnais, à deux pas du cimetière et de la salle des sports. Cette salle des sports, autrefois « halle des sports » est un autre clin d’œil à la famille Rousset. « C’est mon grand-père qui a construit la première halle, mon père a réalisé son extension quand elle est devenue salle des sports, et moi je vais procéder à sa réhabilitation ».
Les Rousset, de l’Entreprise Rousset, spécialisée depuis des lustres dans les travaux de maçonnerie générale et le gros œuvre, sont chez eux à Saint-Symphorien-sur-Coise. Barthélémy, Pierre, Claudius et Jean, Henri et enfin Lionel, cinq générations de maçons ont œuvré ici et là, de la plus petite intervention à la réhabilitation-agrandissement de la mairie.
Pour être précis avec l’histoire familiale, Barthélémy, fils de petits agriculteurs, a lancé la saga Rousset à Pomeys, au hameau « la Mathevonnière », en pleine campagne, avant de rejoindre le centre de Saint-Symphorien. C’était dans les années 1880, et il faisait à l’époque de la petite rénovation pour les particuliers.
Son fils Pierre prend naturellement la suite, c’était ainsi à l’époque.
Mais l’entreprise Rousset se développe vraiment avec ses fils Claudius et Jean, le premier à la gérance et le second sur le terrain. « Claudius qui a été un résistant des Monts du Lyonnais pendant la seconde guerre mondiale, a développé l’entreprise dans la période de reconstruction qui a suivi. Avec Jean, ils ont construit des bâtiments qui m’ont vraiment surpris pour l’époque, par leur technicité, leur savoir-faire. Il fallait être vraiment bien structuré pour faire de telles réalisations ! » estime aujourd’hui Lionel qui revient sur la halle des sports : « un ouvrage comme celui-là, il fallait déjà avoir des grues, des centrales à béton, manier les aciers montés. Je trouve fascinant qu’ils aient pu faire ce genre de choses, et j’en éprouve une grande fierté. C’est eux aussi qui ont construit l’immeuble de la Poste, cinq ou six niveaux, ils étaient vraiment à la pointe ». Et ce sont eux enfin qui ont construit une grosse usine de salaisons en centre-ville, qui vient d’être démolie.
Un des secrets de la famille pour réaliser des travaux de haute technicité, outre les hommes, c’est de disposer de son propre matériel. Chaque génération a investi dans du matériel de pointe, afin de pouvoir répondre à toutes les demandes et choyer les compagnons. Des compagnons qui ne manquent pas à l’époque. Avec Claudius et Jean, l’entreprise a compté jusqu’à quarante salariés, et devient SARL dans les années 70.
Ne pas être le « fils de »
Au tour de Claudius et Jean de passer la main. Henri, fils de Claudius et père de Lionel, prend les manettes, en 1975, non sans avoir été « voir ailleurs » auparavant, à Lyon, chez Pitance. « Il voulait faire ses classes sans être sous la tutelle du père, ne pas être le « fils de » pour apprendre le métier. J’ai moi aussi travaillé à Lyon avant de revenir à Saint-Sym », raconte Lionel. Sa maman, une de ses sœurs, et Pierre-Henri, fils de Jean deviennent salariés de l’entreprise… La saga « familiale » porte bien son nom.
« Mon père a développé la clientèle de l’entreprise, l’entreprise Rousset s’est lancée dans les marchés publics, nous avons répondu aux appels d’offres des bailleurs sociaux, il lui a vraiment donné une autre dimension ». Chef de corps des sapeurs-pompiers pendant trente ans, président du club de foot des années durant, et aussi président de la chambre territoriale de la fédération BTP, Henri Rousset s’est engagé à fond pour la commune qui l’a vu naître, sans jamais toutefois prétendre à un mandat électif, afin de ne pas se trouver en position de « juge et partie ».
Fidèle à la tradition familiale, Henri investit dans des grues et des centrales à béton. Pourquoi abandonner ce qui marche ? « Il a fini avec seize ou dix-sept compagnons, soit quatre équipes », note Lionel.
La cinquième génération ne se dispute pas la suite. Lionel, qui a toujours arpenté les chantiers et n’a jamais songé à un autre métier, se souvient d’une anecdote : « Mon père construisait aussi des villas pour les particuliers, il en construisait une à vingt mètres de chez nous. Avec mon frère, nous y sommes allés un matin, mais mon frère n’y est jamais retourné. Alors que moi j’y passais mon temps dès que je pouvais. Mon frère a travaillé vingt-cinq ans dans la grande distribution, et a ouvert avec son épouse un restaurant-cave à vins dans le centre de Saint-Symphorien en juin dernier. Un autre chemin ».
« Mon père est parti du jour au lendemain »
Au tour de Lionel, donc, maçon de naissance. CAP, BEP, un Bac Pro Études de prix Organisation et Gestion de travaux, le tout au lycée professionnel André Cuzin à Caluire, un petit tour chez S.A.E.C., puis chez SOLGEC, Mazaud et enfin chez Courteix… Retour à la « maison ».
« J’ai commencé à travailler en 1996, et je suis rentré en 2000, comme coffreur et puis chef d’équipe », commente Lionel. « J’ai pris la direction de l’entreprise en 2006 aux côtés de mon père et puis sans lui en 2008, à 32 ans. Mon père m’a laissé la place, c’était son souhait, il est parti du jour au lendemain. Comme son père avait fait pour lui. Afin que le successeur ne se sente pas sous emprise. Un véritable cadeau ».
Un cadeau empoisonné ? « La peur de « planter la boite », existe, oui, il arrive que cela me traverse l’esprit, c’est avant tout une belle histoire de famille, mais je ne me mets pas trop de pression. Rien que pour l’activité, nous avons six mois de visibilité ».
En quelques décennies, le métier a évolué, la pénibilité n’est plus la même, on ne décharge plus par exemple la remorque pleine de sacs de ciment de 50kg à dos d’homme. « Le béton est prêt à l’emploi, il arrive avec la toupie, cul à la benne, la grue lève, et hop » résume avec humour Lionel. Le coffrage aussi a évolué. Bref, l’Entreprise Rousset, c’est vingt personnes aujourd’hui, dont dix-sept sur le chantier, auxquels il faut rajouter quatre intérimaires. Les clients ? Public et privé, sur le neuf et la rénovation. « Nous savons tout faire, travailler tous les matériaux, nous réalisons beaucoup de chantiers de Génie civil pour les ouvrages hydrauliques, nous faisons même de la couverture si nécessaire, mais on ne touche pas à la charpente ».
A lire dans l’édition du Journal du BTP du 2 février 2024