“Il nous faut de la simplicité, de la stabilité, et de la sobriété”
Norbert Fontanel est président de la fédération BTP Rhône et Métropole depuis janvier 2023.
Interview de rentrée.
Juste après la dissolution et donc juste avant les vacances, lors de l’Assemblée Générale de BTP Rhône, vous aviez prévenu que l’activité du BTP allait souffrir d’au moins six mois de blocage politique. La photographie de cette rentrée est-elle celle que vous aviez annoncée ?
Les Travaux Publics, si nous commençons par eux, ne sont pas logés à la même enseigne selon qu’ils travaillent sur la métropole ou sur les territoires. Sur la métropole lyonnaise, les travaux du Sytral et la PPI permettent aux entreprises engagées de bien tenir le cap. Dans les zones rurales, ceux qui enfouissent des réseaux ne manquent pas d’activité à la différence des spécialistes de gros travaux comme le terrassement. Heureusement, les plus petites entreprises s’en sortent en s’adaptant, elles savent être résilientes.
Et pour le Bâtiment, la construction de logements neufs reste au point mort ?
L’ensemble du secteur de la construction de maisons individuelles a énormément souffert des effets de la crise ukrainienne qui a engendré une forte augmentation des matériaux et de l’inflation, avec pour corollaire l’augmentation des taux d’intérêt qui ont désolvabilisé de nombreux foyers. En ajoutant le durcissement du PTZ (prêt à taux zéro) et l’objectif de la ZAN (zéro artificialisation nette) peut-être moins pertinente en zone rurale, nous nous retrouvons avec des entreprises qui doivent faire face aujourd’hui à d’importantes difficultés.
Les promoteurs aussi connaissent un contexte compliqué ?
Les investisseurs habituels se sont détournés du tertiaire et du logement par manque de rentabilité, et il reste du stock à vendre. Cela dit quelques grosses plateformes industrielles ont pu être réalisées. Là où la crise est la plus prégnante, c’est dans le logement collectif neuf à destination de l’acquéreur privé. La loi Pinel a été rabotée et disparaitra d’ici la fin de l’année. Il y a dix ans, 70% des acheteurs étaient des investisseurs, commerçants, futurs retraités… Avec, de surcroît, un blocage des loyers, ils se sont évanouis. Les promoteurs ne vendent presque plus rien, le marché a décroché.
« Il est urgent que le prochain gouvernement s’attelle au sujet »
Pour quels motifs ?
Les coûts de construction ont explosé en très peu de temps : avec la hausse du coût des matériaux, il y a l’augmentation des prix des terrains, et les ambitions environnementales et architecturales qui se traduisent en coûts supplémentaires… Et c’est sans compter la quote-part du privé pour compléter le financement des logements sociaux… Les candidats à l’accession n’ont juste plus les moyens de suivre. D’autant que leur financement bancaire est devenu plus cher lui aussi.
Que faudrait-il faire ?
Il est urgent que le prochain gouvernement s’attelle au sujet, en proposant un plan simple, qui redonne confiance à l’ensemble des acquéreurs, dont les investisseurs privés. Avec la défiscalisation, le secteur du logement a bien fonctionné pendant des décennies, pourquoi ne pas y revenir en l’adaptant si nécessaire. Nous avons besoin de simplicité mais aussi de stabilité avec une réglementation qui n’évolue pas chaque jour et des taux d’intérêts qui ne jouent pas au yoyo.
Autre photographie avec la rénovation-réhabilitation. La conjoncture est-elle meilleure ?
La réhabilitation – c’est 55% de l’activité du Bâtiment – fonctionne plutôt bien, et offre du travail notamment aux artisans malgré les complexités du dispositif MaPrimeRénov’. Les gros chantiers de réhabilitation, eux, souffrent un peu plus puisqu’ils sont très techniques et donc chers. Cela dit, le décret tertiaire qui pousse les propriétaires d’immeubles de bureaux à mettre leurs biens aux normes environnementales d’ici 2030 offre des opportunités.
Comment la situation que vous venez de décrire se traduit-elle auprès des professionnels de l’acte de construire ?
Par des défaillances d’entreprises parmi les bureaux d’études, les agences immobilières, et même les notaires, par des baisses importantes d’activité pour les déménageurs, et ceux qui entretiennent les immeubles, ou les aménagent comme les cuisinistes… Certains promoteurs ont été contraints de licencier. Il y a aussi les constructeurs qui renouvellent moins leur matériel. Et puis les collectivités locales voient leurs droits de mutation baisser de manière substantielle.
« Que nous le voulions ou non, nous devons construire différemment »
Une solution pour les métiers du Bâtiment ?
Ouvrir son champ géographique d’intervention. L’entreprise doit s’adapter, trouver des solutions pour réagir. Le marché change, nous aussi. L’entreprise doit s’adapter à l’Environnement, à l’Économie, et au fait politique. C’est le lot des mutations.
Le respect de l’Environnement, la construction « durable » faisait partie de vos trois priorités de mandat avec la défense des Territoires et la reconnaissance du geste, du savoir-faire des compagnons.
L’environnement est pour nous un fil rouge. Nous avons créé le Parcours Terra BTP, un succès qui va essaimer dans d’autres départements de la région mais aussi en France alors que nous lançons ici une deuxième promotion. Que nous le voulions ou non, nous devons construire différemment. Même si, dans un premier temps au moins, ce ne sera pas moins cher pour le client, puisqu’il nous faudra former nos compagnons à de nouveaux gestes avec de nouveaux matériaux peu diffusés. C’est la raison pour laquelle je milite pour une certaine sobriété des réglementations sur les matériaux et la construction.
Dans ce contexte, l’emploi est-il aussi en danger ? Les intérimaires au premier chef ?
L’encadrement est le plus impacté. Les entreprises ne remplacent pas tous les départs volontaires ou en retraite. Les compagnons ne sont pas touchés pour le moment car nous venons d’une période à fort déficit de main d’œuvre. Les bons profils à finir de former sur le terrain restent très demandés, car il nous faut penser aux chantiers de demain. La fédération va renforcer son effort sur la promotion de nos métiers. J’ai d’ailleurs demandé aux adhérents de s’impliquer encore plus dans les CFA et la formation.
Autre volet de la crise actuelle, les impayés et les délais de paiement…
Nous souffrons de retards de paiement sur les marchés publics et privés. Avec les promoteurs aussi nous constatons des retards, il y a toujours une bonne excuse pour les derniers versements. Les impayés sont en effet en hausse, mais je pense que c’est surtout contextuel.
Question plus personnelle, pour votre deuxième rentrée des classes à la tête de la fédération BTP Rhône. Comment vivez-vous votre présidence ?
Bien ! Très bien même. J’applique ce que me disais Jacques Chanut, un ancien président : « si tu fais ce job, fais-le non pas pour l’image mais parce que tu aimes tes confrères ». J’aime nos métiers, le geste des compagnons, j’aime mes pairs avec qui je partage nos quotidiens, et je crois que cela se ressent.
Interview à retrouver dans le Journal du BTP du 5 septembre 2024