Sagas familiales : 13 – Les Pascal à Lyon 7ème, trois générations au service de Bodevigie

Ernest Pascal : « Nous ne souhaitons pas nous développer à tout prix »

Sur un programme du théâtre des Célestins pour la saison 1956-57, l’entreprise Bodevigie s’est réservé un petit encart, entre l’orfèvrerie Roux-Marquant de la rue de Brest, et le teinturier Daloz avec ses quatre adresses à Lyon : « Sous toutes les formes, installations sanitaires, réfrigérateurs, cuisinières, machines à laver, chauffe-eau, vous seront vendus et installés avec garantie totale par BODEVIGIE, 36 rue Moncey, Lyon 3 », indique la petite publicité.

« Maison fondée en 1915 » indique l’annonce. En réalité, l’activité démarrera vraiment en 1918, juste après la première guerre. C’est donc en ces périodes incertaines que débute la saga Bodevigie, entreprise crée par Séraphin Bodevigie, reprise par son fils en 1956, dont la réputation à Lyon n’est aujourd’hui plus à faire.

« Une facture de 1958 témoigne qu’à l’époque l’entreprise faisait de la plomberie, de la zinguerie, de l’électricité et de l’installation de cuisines », note Ernest Pascal, actuel directeur général délégué de Bodevigie, notre conteur sur cette saga. Le magasin de la rue Moncey vendait aussi de l’électroménager, des poêles de chauffage à bois et gaz et divers accessoires pour la salle de bain.

EN 1973, la maison Bodevigie change de famille mais pas de nom d’entreprise, quand Gérard Pascal, artisan plombier zingueur, rachète la société après deux années passées comme contremaitre.
« Quand mon grand-père Gérard a racheté l’entreprise, il s’est plutôt spécialisé dans la plomberie, la zinguerie, et le chauffage. Il abandonne l’électricité, qui n’est pas son métier. Aujourd’hui Bodevigie est spécialisée dans la plomberie, le sanitaire et le chauffage ».

Flairer l’évolution de la demande
Mais n’allons pas trop vite. Gérard Pascal et les trois compagnons que compte la société quittent la rue Moncey pour le 30 de l’avenue Berthelot, où il réoriente doucement l’entreprise vers ce qu’il sait bien faire, et il ouvre son panel de clients – essentiellement des particuliers – à des régies qui lui confient des dépannages et de la rénovation. Mais surtout, comme le feront son fils Denis, et son petit-fils Ernest, il sait flairer l’évolution de la demande et s’y adapter.

Denis justement, deuxième du nom chez Bodevigie, débarque très jeune dans l’entreprise, en 1988. Lui a une formation de frigoriste et diversifie l’activité, notamment vers les énergies nouvelles avec par exemple les premières pompes à chaleur. Pendant des années, père et fils travaillent côte à côte, l’entreprise grossit, compte jusqu’à vingt-cinq salariés et déménage au 26 de l’avenue Berthelot, toujours dans le 7ème pour ouvrir un showroom de meubles et d’accessoires pour les salle de bains.

Denis Pascal fonctionne comme son papa, à l’ancienne, avec la même obsession du travail bien fait qui sécurise l’activité, tant les clients savent défaire une réputation en cas de manquement. Il deviendra le seul propriétaire de Bodevigie au décès de Gérard qui a conservé ses parts jusqu’à la fin. C’était ainsi.

A soixante ans, l’an prochain, en 2025, titulaire d’une carrière longue et donc candidat à la retraite, Denis cédera l’entreprise à Ernest. Tout est prévu, préparé, pensé. Une nouvelle transmission est en marche.

Ernest, trente ans aujourd’hui, intègre l’entreprise à 18 ans, bon sang ne saurait mentir… Il a un bac S en poche, passe un bac pro de technicien de maintenance, et un CAP installateur sanitaire et thermique. « Je n’ai jamais eu beaucoup de doutes sur ce que je voulais faire. Mon père – Denis donc – m’avait conseillé de créer ma propre entreprise pour voler de mes propres ailes, mais j’ai toujours voulu reprendre la suite de ma famille ». Ainsi fut fait.

« Mon père m’a fait commencer au bas de l’échelle, en ramassant les gravats, il m’a montré comment fonctionnait un chantier, il a toujours voulu que je sache de quoi je parle ». Car Denis sait ce que signifie reprendre une boite familiale. Il y a certes un fichier clients bien garni, mais il y a aussi une réputation, un savoir-faire et un savoir-être indispensables à tenir. « J’ai les exigences qui vont avec, l’obligation de ne pas décevoir », commente sobrement Ernest qui ne se plaint pas une seconde.

« Chacun ajoute sa pierre à l’édifice »
En douze années aux côtés de son père, Ernest gravit les échelons. Et met sa patte dans l’entreprise qui a encore déménagé, en 1994, après un incendie dans les bureaux, pour la rue Blancel cette fois, angle avenue Berthelot. Il pense par exemple à demander à ses clients de donner leur avis sur Google pour conforter la visibilité et la réputation de l’entreprise et investit dans un triporteur électrique pour « naviguer et stationner facilement en ville, faire nos dépannages ; avec nos vieilles camionnettes nous n’étions plus dans l’actualité ». Bref, il apporte une note de modernisme et sa vision du métier. « Chacun ajoute sa pierre à l’édifice, c’est positif ».

Aujourd’hui, Bodevigie réalise en majorité des chantiers de sanitaire – « on suit la demande » confirme Ernest – pour environ 80% de l’activité, et 20% de chauffage, pour des particuliers, architectes, ou des régies, sur une zone géographique qui épouse à peu près les contours de la Métropole lyonnaise.

« Nous avons un peu travaillé dans le neuf mais vite arrêté, ce n’était pas pour nous. Pour les particuliers et les architectes, nous sommes plutôt situés dans le haut de gamme. Pour les régies, nous suivons leurs demandes, cela va de la rénovation complète d’appartements au dépannage, une paroi de douche à installer, un radiateur à changer, un robinet, tous les petits tracas de plomberie et de chauffage… »

En cas de chantier de rénovation complète, Bodevigie intervient souvent en tant que maitre d’œuvre ou du moins comme coordinateur d’artisans amis : électriciens, carreleurs, menuisiers, plaquistes…  « Nous travaillons toujours avec les mêmes, ce qui est source de qualité et de bonne organisation. De fluidité ».

Ainsi Bodevigie traverse les crises, les deux dernières années ont été « en dents de scie », reconnaît Ernest, qui ne craint pas « les plages plus calmes » qui permettent de donner du temps au temps pour l’entreprise, et penser le développement. « Nous ne souhaitons pas nous développer à tout prix, nous voulons conserver le relationnel avec nos clients. Je n’ai pas envie d’avoir quinze-vingt salariés, en ce moment nous sommes quatre. Je passe des chantiers au bureau, du dépannage à l’administratif. Avec Papa on se partage toutes les tâches administratives, devis, factures… ».

Pas d’inquiétude. Chez Bodevigie, chez les Pascal donc, la transmission se fait en douceur, avec la rigueur et l’enthousiasme inhérents aux sagas familiales. Une fois que Denis aura donné les clefs, en 2025, l’épouse d’Ernest viendra sans doute l’épauler au bureau.

C’est ce qui est prévu. Et rue Blancel, dans les locaux refaits en 2018, quand c’est prévu c’est fait