Impayés
Parmi les effets de la conjoncture économique difficile pour le BTP, les entreprises notent une recrudescence des retards de paiements ou des impayés. Avec à la clef des trésoreries – déjà mises à mal par ailleurs – en souffrance, ou, pire, dont l’état ne permet plus de payer les fournisseurs. L’artisan ou le chef d’entreprise du BTP se retrouve si l’on peut dire « entre le marteau et l’enclume », entre le client qui fait trainer ses factures et le fournisseur qui ne livre plus s’il n’est pas payé.
Alors, comment s’en sortir ?
En faisant appel à la Fédération BTP Rhône et/ou au Tribunal de Commerce ont répondu les intervenants de la réunion organisée en septembre dernier par la commission Métiers. Une réunion intitulée « En quoi le tribunal de Commerce est-il votre allié ? », pour convaincre chacun des adhérents présents à ne pas s’en défier.
Car, sans langue de bois, plusieurs facteurs font que l’artisan ou le chef d’entreprise tente de se « dépatouiller » seul. Outre le manque d’information, le manque de temps pour consulter, et la crainte de passer pour un mauvais dirigeant, de donner de son entreprise une mauvaise image, il y a aussi de la méfiance envers les institutions quelles qu’elles soient.
Pour vous aider sur ce sujet, voici les témoignages de Florence Rézenthel, du service juridique de la Fédération BTP Rhône, de Bénédicte Maillard-Gesse, qui dirige MGS, d’Olivier Rhôné, DG chez Rem-Isol et de Stéphane Tézier, président de la Commission Métiers de BTP Rhône, à l’initiative de cette rencontre.
Florence Rézenthel : « Le maître mot c’est anticiper »
Comment aidez-vous les chefs d’entreprise face aux impayés ?
Le service juridique de la Fédération prend en charge la phase amiable. Nous conseillons nos adhérents sur l’orientation de leurs dossiers et, si nécessaire, nous les orientons vers le judiciaire, en collaborant avec des avocats et huissiers ou en les aidant à rédiger une requête en injonction de payer. Notre rôle est de protéger les intérêts de nos adhérents, ce qui implique un traitement conjoint des dossiers.
Il est donc crucial de vous consulter avant d’aller au tribunal…
Absolument ! En matière financière, « anticiper » est essentiel. Plus nous sommes contactés rapidement, plus les chances de succès augmentent. Pour un conseil en amont (avant la signature d’un contrat, par exemple), les adhérents peuvent contacter Gaël Machard ou moi-même. Je gère également les procédures de recouvrement et de contentieux. Nous effectuons le recouvrement de factures via des mises en demeure grâce à notre structure BTP Services. Nous pouvons aussi établir des échéanciers si le client rencontre des difficultés, afin d’éviter des procédures judiciaires coûteuses, tout en précisant que celles-ci seront lancées si les engagements ne sont pas respectés.
Et concernant le contentieux ?
Nous traitons les litiges sur les chantiers en collaboration avec Emmanuel Hivet, responsable du service Technique et Prix. Grâce à une approche à la fois technique et juridique, nous trouvons des solutions amiables dans 7 cas sur 10, souvent matérialisées par un protocole d’accord signé par toutes les parties.
Avez-vous observé une hausse des dossiers de recouvrement et de contentieux ?
Oui, dans les six premiers mois de cette année, nous avons déjà atteint les chiffres de 2023. Le contexte économique est difficile. Pour nous confier un dossier de recouvrement, il est nécessaire de nous fournir au minimum une copie du devis signé, de la facture, et du courrier de relance ou de mise en demeure (LRAR).
Les délais de prescription doivent impérativement être respectés : 2 ans pour les factures destinées aux particuliers et 5 ans pour les régies et clients professionnels. Tout non-respect de ces délais pourrait entraîner la perte de votre droit d’agir en justice pour le recouvrement des créances.
Bénédicte Maillard Gesse : « Il n’est pas normal de devoir porter la trésorerie des promoteurs ou des entreprises générales »
Pourquoi est-il si difficile d’entrer en conflit avec un « mauvais payeur » ?
Assigner un client, un promoteur par exemple, sachant que nous avons avec lui trois ou quatre chantiers en cours, que nous sommes en négociations sur un ou deux autres, cela ne fait pas bon ménage. Ils connaissent nos difficultés mais ne se rendent pas toujours compte à quel point un retard de paiement peut nous mettre à mal. Pour la première fois depuis le rachat de mon entreprise en 2017, je viens de faire face à trois impayés et je pense que malheureusement ce ne seront pas les seuls. Plus que jamais, il faut avoir une gestion au cordeau et suivre quasiment quotidiennement les encaissements de nos factures. Aujourd’hui, une PME devrait avoir un service juridique et recouvrement comme les grands groupes, or cela n’est pas possible.
Les retards de paiement sont-ils de plus en plus nombreux ?
Nous intervenons sur 70 à 75 chantiers par an depuis quinze ans. Et oui, cela devient de plus en plus courant. Aujourd’hui les difficultés que rencontrent nos clients se ressentent directement sur nos comptes. Nous pouvons attendre parfois 2 à 3 ans le règlement d’un DGD (décompte général définitif), ce qui reste exceptionnel, mais plus si rare que ça. Avec toujours une bonne raison, qui n’en est pas une… Plus généralement un DGD met plus de six mois à nous être payé même si nos réserves sont intégralement levées. N’oublions pas que pour être réglés de cette dernière situation, il nous faut être totalement à jour de nos levées de réserve et que le compte prorata soit clôturé. Et là encore d’autres aléas peuvent retarder les mises en paiement de nos factures.
Par ailleurs, des demandes de devis de TMA (travaux modificatifs acquéreurs) ou de travaux supplémentaires nous arrivent en phase chantier et nous réalisons nos travaux bien souvent sans validation de devis ou d’avenant afin de ne pas le bloquer. Les avenants de régularisation mettent parfois plus de six mois à nous parvenir et sans eux impossible de facturer ces travaux supplémentaires. Ainsi, pendant un an à-dix-huit mois, nous travaillons sans être payés car les régularisations sont faites au moment du DGD. Les retenues de bonne fin, de parfait achèvement, de DOE, etc…, plombent aussi nos comptes tout au long du chantier et affaiblissent notre trésorerie.
A quoi imputer ces retards ?
Difficile à dire, les raisons sont en fait nombreuses : manque de temps, oubli, difficulté de faire valider les TS à sa direction, bons pour paiement bloqués chez le maître d’œuvre d’exécution, MO qui a l’historique du chantier et quitte l’entreprise, etc… Nous avons quand même le sentiment qu’il faut se battre pour obtenir les avenants nécessaires à la facturation de nos travaux… Les promoteurs savent que nous sommes de bons soldats, que notre priorité c’est le chantier en cours, et que nous n’ignorons pas que nous finirons par être payés. Malheureusement, certaines prestations supplémentaires demandées ne nous seront jamais payées ou feront l’objet de discussion parfois interminables… De notre côté nous devons payer nos fournisseurs à l’heure, sinon nos commandes restent sur le quai. Nos fournisseurs sont des grandes entreprises nationales voir internationales qui ne rigolent pas avec cela, ce qui est tout à fait normal, mais qui accroît le fossé entre les délais de règlement clients et fournisseurs.
Quelle est la solution ?
Avoir de la trésorerie d’avance. C’est la seule façon de s’en sortir. Et puis faire des relances, des mises en demeure, des injonctions de payer mais cela représente beaucoup d’énergie et de stress pour le dirigeant et son comptable. Nous aimons travailler dans une forme de confiance réciproque et avoir des bonnes relations avec nos clients. La mise en demeure et l’injonction de payer deviennent les solutions ultimes lorsqu’au bout de quelques années nous ne sommes toujours pas payés… Quand le contexte devient tendu, avoir trop de trésorerie « dehors » peut mettre rapidement en péril nos entreprises même les plus solides. Il est alors de la responsabilité du dirigeant de faire valoir ses droits pour obtenir l’ensemble des sommes dues. Les entreprises du BTP sont pour la grande majorité des TPE ou PME et doivent évoluer dans un univers où les données administratives, financières et juridiques deviennent plus importantes que le savoir, l’expérience et la force de travail sur nos chantiers, et tout cela est bien dommage.
Comment expliquer ces retards ?
Il est difficile de déterminer si cela est volontaire ou simplement un manque d’organisation. On a parfois l’impression que des délais sont artificiellement prolongés. Les promoteurs sont conscients que notre priorité est de mener à bien les chantiers et qu’ils peuvent compter sur notre engagement à long terme. Cependant, il est crucial de rappeler que notre entreprise doit respecter ses propres obligations financières envers nos fournisseurs. Nous ne devrions pas être responsables de la gestion de la trésorerie des autres acteurs du secteur.
Quelle est la solution ?
Avoir une trésorerie suffisante en amont est essentiel. Cela permet de faire face aux imprévus tout en continuant à effectuer des relances et des mises en demeure. Toutefois, dans un contexte tendu, une trésorerie trop élevée « dehors » peut également menacer la stabilité de l’entreprise.
Olivier Rhôné : « Pas de trésorerie, pas de boîte ! »
Qu’avez-vous retenu de la réunion sur le Tribunal de Commerce ?
J’ai trouvé cette réunion très intéressante, avec les deux volets « impayés » et « défaillances ». Le président du tribunal et ses juges sont avant tout des entrepreneurs, ils ont l’expérience, la connaissance du monde de l’entreprise, et je pense qu’ils jugent avec bienveillance.
Et sur le volet « impayés » ?
La trésorerie est essentielle. Quand j’ai posé la question à Bruno Da Silva (le nouveau président du Tribunal, NdlR) sur les constances relevées dans les entreprises en difficulté, il m’a répondu : « Cash is king ». Il a raison. Pas de trésorerie, pas de boîte ! Quand j’ai repris il y a douze ans l’entreprise familiale, j’étais challengé par les banques, les clients et fournisseurs. J’ai appris très vite que sans trésorerie rien ne fonctionne. Il faut payer les fournisseurs, les salariés, l’Urssaf, la caisse de congés payés, etc… Et quand on est un peu juste en trésorerie, on ne dort pas la nuit. La trésorerie, c’est une assurance-vie. Je suis aujourd’hui la nôtre pratiquement au quotidien.
Comment faire pour limiter d’éventuels problèmes de trésorerie ?
Chez Rem-Isol nous avons réinternalisé la saisie des pièces comptables clients-fournisseurs, la réconciliation des transactions avec les factures et nous mesurons en permanence l’écart entre les créances et les dettes. La facturation est essentielle, en temps et en heure. Nous avons également mis en place « Pennylane » en interne – une plateforme tout-en-un de gestion financière et comptabilité des dirigeants – synchronisée avec les banques. Nous savons mois par mois ce que l’on nous doit et ce que nous devons. Nous essayons aussi de mettre en place une trésorerie prévisionnelle à horizon un mois ou deux. Et au niveau des paiements, nous avons une assurance-crédit, qui nous assure une première sécurité.
Stéphane Tézier: « Sécuriser sa trésorerie et gagner en sérénité »
Notre approche à la commission métier est de voir le Tribunal de Commerce non pas uniquement comme une ressource à mobiliser en cas de difficulté, mais comme un allié précieux pour anticiper et prévenir les risques financiers.
Beaucoup d’entrepreneurs hésitent à consulter le Tribunal avant que la situation ne devienne critique, souvent par manque d’information ou de peur de donner une image négative de leur entreprise.
Pourtant, une relation proactive avec le Tribunal peut offrir des perspectives nouvelles pour sécuriser la trésorerie et éviter des situations de crise. Le Tribunal de Commerce peut jouer un rôle crucial pour les entreprises du BTP, pas seulement en cas de crise, mais aussi en prévention, En consultant en amont, les dirigeants sécurisent leur trésorerie et gagnent en sérénité. Cette relation de confiance avec les juges – eux-mêmes entrepreneurs – permet d’accéder à des conseils adaptés aux défis du secteur, renforçant la résilience de nos entreprises.
La stabilité du secteur repose sur une transparence et un soutien mutuel. En travaillant ensemble, nous assurons non seulement la pérennité de nos entreprises, mais aussi celle de notre écosystème économique.
À lire dans l’édition du 21 novembre du Journal du BTP
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