Oriane Viguier (Legros TP) : “il faut préparer les entreprises à la transition écologique”

La dirigeante de Legros TP, Oriane Viguier, vice-présidente de BTP Rhône, patronne de l’une de plus anciennes entreprises de France, implantée à Rillieux-la-Pape près de Lyon, s’investit dans la lutte pour le climat.

La dirigeante de Legros TP, Oriane Viguier, et vice-présidente de BTP Rhône s’est investie en chef de file de la décarbonation des entreprises à travers le parcours de formation Terra BTP. Elle revient sur son parcours et sur celui de l’entreprise familiale fondée voici 138 ans, qu’elle a reprise après sa mère et sa grand-mère il y a dix ans. L’entreprise Legros TP est installée à Rillieux-la-Pape près de Lyon depuis 13 ans et compte 50 salariés.

Oriane Viguier, Legros TP est l’une des plus anciennes entreprises de BTP familiales en France encore en activité…

Oui, 138 ans cette année. Nous célébrons l’entreprise tous les cinq ans depuis les 125 ans, lorsque nous avons quitté le site historique de la Croix-Rousse pour nous installer à Rillieux-la-Pape. Les premières traces écrites retrouvées remontent à mon aïeul fondateur en 1887, qui était venu de la Creuse, comme de nombreux maçons de l’époque, pour construire Lyon.

Les dates clés d’Oriane Viguier

  • 2025 : Les dix ans de la reprise de Legros TP en janvier.
  • 2016 : Le départ à la retraite de sa mère Sylvie Legros.
  • 2015 :La reprise de Legros TP.
  • 2009 : Son entrée chez Legros TP.

L’entreprise Legros est dirigée par des femmes depuis trois générations, c’est inhabituel dans les travaux publics ?

Oui, cela s’est fait ainsi. Lorsque mon grand-père est décédé assez brutalement en 1986, ma grand-mère a repris. C’était une petite entreprise qui employait dix personnes. Puis ma mère lui a succédé en 1992 avec mon père qui a continué à travailler dans l’entreprise même après leur divorce. Et moi-même, je suis entrée en 2009 pour reprendre complètement en 2015.

Même si j’ai toujours voulu travailler dans le secteur, ayant fait mes études dans le génie civil et les TP, j’ai été convaincue que cela valait vraiment la peine de reprendre Legros TP en suivant la formation de l’ESJB [École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment, NDLR]. Grâce à cette formation d’un an et demi, j’ai compris que Legros TP avait de très bonnes bases, indépendamment du contexte familial. Cette expérience a fini de me convaincre de me lancer.

Oriane Viguier, dirigeante de Legros TP : “J’ai réussi en dix ans à être très bien entourée, avec des gens de confiance”

Vous avez 40 ans, cela vient de faire dix ans en janvier 2025 que vous avez repris les rênes de l’entreprise à 100 %, quel bilan tirez-vous ?

Le bilan est bon mais les débuts ont été un peu difficiles. J’ai ressenti la pression des responsabilités, avec des familles et des collaborateurs qui comptent sur moi et sur l’entreprise. Lorsque j’ai repris en 2015, les travaux publics allaient très mal, de belles entreprises lyonnaises perdaient de l’argent. Cela m’a aidée pour la suite à me débrouiller dans les phases un peu tumultueuses. J’ai réussi en dix ans à être très bien entourée, avec des gens de confiance. C’est pourquoi je peux assurer des mandats à BTP Rhône notamment.

Vous avez beaucoup de turnover dans vos rangs ?

Il y en a eu un peu lorsque ma mère a pris sa retraite. Aujourd’hui, je travaille depuis plusieurs années avec Sylvain Laval qui est directeur de Legros TP et avec lequel j’ai créé une autre entreprise, Filia, dans laquelle est entré, comme associé avec nous, Alban Durand, notre directeur d’exploitation. Filia est spécialisée dans les travaux de génie civil et maçonnerie, et emploie sept personnes à Saint-Georges-de-Reneins (Rhône). Nous avons par exemple réalisé la structure du mémorial de la Shoah de Lyon, ou surélevé d’un étage une marbrerie en activité.

Comme certaines entreprises du secteur, vous employez des jeunes travailleurs migrants…

Notre recrutement a deux origines : très familial d’un côté avec des salariés qui sont là depuis longtemps, et même leurs enfants aujourd’hui. Et d’un autre côté, nous avons toujours fait beaucoup d’insertion avec l’association GEIQ [Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification, NDLR]. Nous avons en permanence un ou deux jeunes en formation en alternance. Au fil des années, nous en avons gardé six, dont le plus ancien, un jeune Malien, est chez nous depuis cinq ans comme canalisateur. Lorsque ces jeunes deviennent l’homme de confiance de leur chef, c’est réussi. On sait que l’on pourra faire d’eux des chefs à leur tour.

Ce sont des personnes qui ont vocation à rester dans l’entreprise ?

Bien sûr, on fait tout pour. Mais on ne peut pas savoir aujourd’hui ce que sera leur décision, de retourner dans leur pays avec un peu d’argent ou de s’installer. On n’a pas encore de recul avec eux. Cela dépend des conditions politiques de leurs pays, et de chaque individu. Ils sont tous arrivés dans les conditions de traversée difficiles que l’on connaît, venu de Guinée-Conakry, de Côte d’Ivoire ou d’ailleurs… Ils se donnent les moyens de s’intégrer. Nous insistons sur l’apprentissage du français et sur les différents de permis de conduire.

En tant que femme, avez-vous tendance à regarder les candidatures de filles plus attentivement ?

Bien sûr, mais je ne crois pas que nous aurons un jour des femmes aux postes de base sur les chantiers, peut-être en conductrice de camions. Actuellement, nous avons sur chantier une femme encadrante et une alternante. Du reste, tous les hommes ne sont pas capables de pratiquer ces métiers rudes, avec la chaleur et le froid, descendre au fond d’un trou, remonter, etc. Notre métier principal est celui de canalisateur. En revanche, nous sommes à parité sur les fonctions supports dans les bureaux.

Legros TP “ne recherche pas la croissance à tout prix”

Vous employez 50 salariés aujourd’hui pour huit millions d’euros de chiffre d’affaires. Vous ne souhaitez pas aller plus loin. Pourquoi ?

J’aime bien être proche des salariés, quand j’ai pris l’entreprise nous étions 35 et nous avons grandi. J’estime que 50 c’est suffisant, je ne recherche pas la croissance à tout prix. Pourtant j’ai presque tous les jours des propositions de rachat d’autres entreprises tout comme des propositions d’achats de mon entreprise, mais elle n’est pas à vendre. S’il y a croissance externe, ce sera selon l’opportunité, ou pour aider quelqu’un de mon entreprise qui a une idée.

On peut mettre cette conviction en lien avec votre engagement dans Terra BTP, vous êtes une patronne écolo ?

(Rires). Non, pas au sens politicien, mais lorsque j’ai pris le mandat de vice-présidente à la prospective économique, j’ai dit à notre président Norbert Fontanel qu’il fallait mettre l’accent sur la préparation des entreprises à la transition écologique, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique.

Nous sommes entrés en contact avec la Convention des entreprises pour le climat (CEC), et nous avons construit Terra BTP, qui a débuté sa deuxième édition il y a quelques semaines. C’est un parcours de formation très pragmatique, où les dirigeants entraînent leur entreprise dans une transformation de long terme.

Décarbonation : “dans les TP, on a notre part à faire”

Vous avez été suivie dès le début ? On ne vous a pas dit : “tu nous embêtes avec tes trucs d’écolo” ?

Au début, j’ai été gentiment moquée, ce n’est plus le cas. Nous avons constitué un bon noyau qui s’investit dans Terra BTP. De toute façon, nous serons mis au pied du mur, il faut anticiper les réglementations. Dans les TP, nous sommes en première ligne, nous travaillons avec les collectivités, en extérieur, en milieu urbain. On ne conçoit pas de ne pas essayer d’électrifier notre parc d’engins et de véhicules, mais pour l’instant, c’est bien trop cher. On s’efforce aussi de revégétaliser les sites de chantier, de réaliser nos bilans carbone, d’inciter au covoiturage, etc. On a notre part à faire.

Vous dites que les pouvoirs publics vont toucher au portefeuille des entreprises qui ne feront pas leur part dans la transition écologique ?

Tout à fait, j’en ai eu confirmation lors d’une réunion des entreprises avec la Banque de France. D’ici à trois ou quatre ans au maximum, des prêts aux entreprises seront majorés, voire refusés. Une entreprise qui travaille le béton s’est déjà vu refuser un prêt dernièrement.

Quelle est la conjoncture actuelle du business pour votre entreprise et pour le BTP en général ?

Dans les TP, nous allons connaître un ralentissement cyclique à cause des élections, cela durera un an voire deux, on a l’habitude. Si la majorité change à la Métropole, ce sera un peu plus long, le temps que les nouveaux établissent leurs projets. Pour le reste, la conjoncture catastrophique du bâtiment entraîne une baisse d’entrée des droits de mutation dans les collectivités comme la Métropole de Lyon, et mécaniquement, elles ont moins d’argent à dépenser pour les TP. Le seul espoir en 2025, ce sont les trois baisses de taux notamment sur le livret que nous prédit la Banque de France, qui peuvent un peu relancer l’activité.

Entre le Journal du BTP et Oriane Viguier

  • Son style de management : attentive et maternelle, mais cadrante et déterminée.
  • Un rituel du matin : je n’aime pas le rituel et j’évite les routines.
  • Un livre de chevet : “depuis Terra, beaucoup de livres sur l’environnement”, la BD de Jancovici, Un Monde sans fin, Ressources, et des livres de cuisine végétarienne, avec mon mari.
  • Personnalités inspirantes : mes deux grands-mères Jeanne Viguier, et Jeanne Legros.
  • Un lieu ressource : l’Aveyron, le village de ma grand-mère paternelle, Entraygues-sur-Truyère, où la famille se réunit.

À lire dans l’édition du 3 mars 2025 du Journal du BTP