Sur les chantiers et dans les bureaux d’études, à la tête de leur entreprise ou indispensables codirigeantes aux côtés de leur époux artisan, les femmes sont de plus en plus nombreuses à se lancer dans des métiers réputés réservés aux hommes. Et même si elles demeurent encore peu nombreuses sur le terrain, les chefs d’entreprise se les arrachent.
Cécile Mazaud est présidente du groupe Mazaud, entreprise générale de bâtiment, dont le siège est à Villeurbanne. Elle est présidente de la chambre « Maçonnerie et béton armé » de la fédération BTP Rhône et Métropole.
Pourquoi les femmes peinent à rejoindre le monde du BTP ?
Parce qu’on a tellement dit et répété que c’était un milieu d’hommes, alors que les hommes ont aussi leur part de féminité (sourire) ! Pendant longtemps, nous avons eu une image de métiers très physiques. Et même si depuis vingt ans les conditions de travail sur les chantiers se sont vraiment améliorées, cette image perdure. Elle est pourtant dépassée aujourd’hui notamment grâce aux moyens de levage, aux actions de prévention menées en matière de sécurité et d’ergonomie ainsi qu’une plus grande anticipation dans l’organisation des chantiers.
La technologie, les exosquelettes par exemple, peuvent-ils favoriser l’arrivée des femmes dans le BTP ?
Je pense que les exosquelettes vont faire évoluer la gestion des efforts sur nos chantiers, pour les hommes comme pour les femmes. Il s’agit de limiter les contraintes musculaires et de diminuer l’impact de la répétition des gestes. Ils aideront à la prévention des maladies professionnelles.
Alors, comment convaincre les jeunes femmes de venir travailler sur les chantiers ?
Quand nous aurons répondu à cette question pour les femmes, nous aurons surtout trouvé comment faire venir des jeunes – hommes et femmes, sans distinction de genre – sur les chantiers. Pour moi, le véritable enjeu est de valoriser nos métiers auprès de tous les jeunes. Nous devons casser les codes et couper court aux stéréotypes. Nos chantiers sont propres, innovants et tournés vers les transitions digitale et écologique. Par ailleurs, les compagnons portent une grande attention au bien-être de leurs collègues féminines.
Avez-vous beaucoup de femmes sur les 130 salariés de votre entreprise ?
Elles représentent aujourd’hui 11% de l’effectif du groupe, et notre comité de direction est composé à 40% de femmes. L’évolution a été assez rapide et j’en suis très heureuse. Tous nos postes sont ouverts aux femmes. Nous avons accueilli en 2021 deux femmes en stage sur le terrain, dont une au poste de coffreur-bancheur dans le cadre de sa reconversion professionnelle. Nous l’avons depuis recrutée en contrat de professionnalisation et elle réalise enfin ses rêves – je dis bien « rêves » – après avoir travaillé longtemps dans la restauration. Nous sommes très fiers de pouvoir l’accompagner dans son parcours.
Quelles sont les qualités spécifiques aux femmes dans le BTP ?
Elles apprécient le travail en équipe, et surtout elles aiment organiser, structurer. Le travail de conducteur de travaux, par exemple, leur sied à merveille. Elles apportent en plus de la bienveillance et de l’écoute, ce qui apaise les chantiers. C’est la raison pour laquelle je considère que nos métiers sont vraiment faits pour les jeunes femmes.
Vous avez pris la suite de votre papa, il semble que de plus en plus de jeunes femmes n’hésitent plus à le faire. Vous le constatez également ?
Oui. Ce qui nous empêche d’évoluer dans nos métiers, c’est le manque de confiance en nous. Une fois qu’une femme a pris confiance en elle, qu’elle sait de quoi elle est capable, elle soulève des montagnes. Nous sommes des lionnes. Nous protégeons nos équipes et défendons nos entreprises. Génération après génération, les femmes prennent un peu plus confiance en elles. C’est pour cela que l’on voit de plus en plus de jeunes femmes reprendre les entreprises familiales.
Avec le recul, est-ce que vous conseilleriez à votre fille de se lancer dans l’aventure BTP ?
Ma fille me voit m’épanouir dans mon travail, même si parfois c’est dur, elle me voit partir le matin avec le sourire, cela lui montre ce que peut être le travail-plaisir. Elle voit que le Bâtiment est un monde convivial, elle voit combien c’est beau de construire, la fierté qu’on peut en ressentir, et les rêves que l’acte de construire engendrent. Pour le reste, nous sommes en 2022, celui qui reste misogyne est complètement « has been ». La mixité, toute la mixité – âge, genre, expérience – est une vraie richesse pour nos entreprises.
Est-ce que selon vous le mois de la femme reste nécessaire ?
Le 8 mars est la journée internationale des droits de la femme. C’est une journée pour sensibiliser à la maltraitance. Au-delà d’une journée, d’un mois, je souhaiterais vraiment que les violences faites aux femmes soient un combat national. Tous les trois jours une femme tombe sous les coups de son conjoint. Ce n’est plus admissible.
Est-ce que dans l’acte de construire il y a un regard féminin ?
Oui. Nous faisons très attention à l’usage. Est-ce que les acquéreurs se sentiront bien dans les appartements que nous construisons ? Cette question est centrale ! J’aime travailler en collaboration avec les architectes pour optimiser des plans et rendre un logement convivial et fonctionnel. Le foyer est un mot clef et le regard que nous portons sur lui en tant que femme est bienveillant. L’acte de construire, c’est se mettre au service des autres. Les femmes sont particulièrement sensibles à cette ambition humaniste.