Oriane Viguier est vice-présidente de la Fédération Rhône et Métropole en charge de l’Économie et de la Prospective. Elle est aussi présidente de Legros TP, une entreprise familiale basée à Rillieux spécialisée dans les réseaux secs et humides, la petite maçonnerie et la voirie en zone urbaine.
Comment se présente cette rentrée sur le plan économique pour les entreprises du BTP ?
Localement, les Travaux Publics se portent plutôt bien grâce à la commande publique, notamment pour ceux qui participent aux travaux du tramway ou des voies lyonnaises. Pour ceux qui font des ouvrages d’art, c’est un peu plus compliqué. En ligne de mire, il y a tout de même une fin de mandat synonyme d’incertitudes.
A noter cependant que la commande publique, en particulier de la Métropole, s’est fait attendre…
A chaque changement de collectivité, c’est le cas : les cycles des mandats et l’absence de lissage de la commande publique posent des difficultés à nos entreprises, avec en particulier une gestion complexe de nos ressources humaines, la suractivité succédant à la sous-activité. Nous essayons depuis longtemps de faire évoluer les choses mais sans trop de résultats.
Pour le Bâtiment ?
Nous entrons clairement en crise. Nous alertons depuis longtemps les pouvoirs publics sur les conséquences des difficultés à emprunter, du foncier devenu inaccessible, de l’envolée des coûts de construction avec la hausse des prix des matériaux et des salaires. Nous rentrons dans une conjonction d’éléments peu favorable au Bâtiment. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des acteurs de la construction se mobilisent en réclamant une prise de conscience de l’État. Le logement social, par exemple, qui est un gros pourvoyeur de commandes, fera en effet un peu plus de rénovation mais beaucoup moins de constructions neuves.
Comment se portent les entreprises dans ce contexte ?
Les promoteurs se retrouvent en grande difficulté, les entreprises craignent pour leurs carnets de commandes et donc leur trésorerie, d’autant que depuis quelques années nous passons d’une crise à l’autre. La Covid, la hausse des prix des matériaux en pleine reprise post-covid, l’inflation… Il y a tellement de bouleversements à appréhender que malgré la capacité des entreprises du BTP à s’adapter, la conjoncture est complexe. Nous attendons un ralentissement des commandes pour la fin de l’année et le premier trimestre 2024.
Les trésoreries ont beaucoup souffert ?
Oui, il y a eu en 2022 notamment tant de hausses, souvent flash, que les devis ne correspondaient plus à la réalité des prix, au préjudice des marges et donc des trésoreries. Tous les dirigeants d’entreprises ont vécu cette année de transition avec difficulté, d’autant que certains avaient les PGE à rembourser. La santé financière de chacun d’entre nous s’est retrouvée fragilisée, juste au moment où nous pourrions faire face à un ralentissement des commandes.
La rénovation énergétique peut-elle sauver le recul du Neuf ?
Pour moi, la rénovation énergétique va permettre à certains métiers seulement de surnager. Maçons, carreleurs, je prends ces métiers en exemple, me semblent moins concernés. Cela va vraiment dépendre des corps de métiers. La rénovation énergétique ne fera pas vivre toutes nos entreprises à elle seule.
Les particuliers comme les entreprises privées doivent faire face à des hausses du prix de l’énergie, craignez-vous que leurs enveloppes destinées à la rénovation énergétique fondent en même temps que ces hausses ?
Cette remarque est valable pour tout le monde, entreprises, particuliers mais aussi les collectivités. Les investissements destinés aux travaux ne deviennent en effet plus une priorité. Nous le notons dans les petites communes qui doivent faire le choix prioritaire de chauffer l’école primaire par exemple plutôt que de refaire ceci ou cela, avec pour effet de mettre en tension les entreprises du BTP locales.
Quelles sont les actions possibles ?
Il y a une grosse attente des professionnels sur les futures décisions gouvernementales. Il y a eu un accord avec Action Logement qui va dans le bon sens. Il faut juste trouver de nouveaux dispositifs susceptibles d’aider à nouveau les familles à acheter ou rénover leur logement.
Dans ce contexte, le recrutement n’est plus une priorité ?
Tous les départs à la retraite ne seront peut-être pas tous remplacés, et les entreprises feront moins appel aux intérimaires…
Quel est le ressenti des adhérents de la fédération ?
Il y a beaucoup de pudeur dans nos métiers ; nous ressentons cela dit une inquiétude assez forte pour les mois à venir. Les augmentations des prix des matériaux se poursuivent ici et là, nous avons la REP Bâtiment (principe du pollueur-payeur sur la gestion des déchets) qui entraîne des coûts supplémentaires, les ZFE… Nous sommes aujourd’hui dans de vrais questionnements et réflexions sur nos investissements, nous faisons face à de nombreux sujets qui sont tous devenus complexes. Nos façons de fonctionner ont véritablement changé. Cela dit, comme souvent, les dirigeants du BTP s’adaptent et savent trouvent des solutions, dans une période où il faut bien le dire nous « marchons sur des œufs ».
Vous êtes aussi en charge de la « Prospective ». Quelle va être votre action ?
La fédération réfléchit aux sujets de demain qui vont impacter nos entreprises pour anticiper les réponses à apporter, notamment sur les sujets de transition écologique, économique, et ressources humaines. Notre première action est la mise en place d’un parcours CEC (Convention des Entreprises pour le Climat) pour BTP Rhône qui démarrera en novembre 2023.
A lire dans l’édition du Journal du BTP du 28 septembre 2023