Deux, trois, quatre générations et parfois plus encore. Le monde du BTP regorge d’histoires familiales où le mot transmission est écrit en lettres capitales. Transmission de valeurs, de savoir-faire, de l’art de construire tout simplement, synonyme de don de soi, de sens, et de fierté. L’exemple, l’exemplarité des parents artisans ou patrons de TPE, PME voire ETI, est le levier d’engagements qui méritent que l’on s’y attarde. Car si les enfants suivent la voie de leurs parents, ce n’est pas par devoir ou facilité, ou pas seulement, c’est parce que le métier les a séduits. A la fédération BTP Rhône et Métropole, les sagas familiales de certains adhérents sont connues, d’autre moins. Nous avons donc décidé de vous présenter sous forme de série quelques-unes d’entre elles. Sans jamais perdre de vue l’émotion pour un père ou une mère de voir son ou ses enfants s’impliquer dans l’entreprise pour – un jour – prendre la suite.
La quatrième génération de la saga Minot à la tête du groupe éponyme est un duo.
Deux frères se partagent en effet les commandes de l’entreprise familiale : Bertrand, 52 ans, et Samuel, 47 ans – bien connu des lecteurs du Journal du BTP pour avoir été président de la fédération BTP Rhône et Métropole et président actuel de la FFB Aura – fils de Georges, qui avait repris les rênes de l’entreprise au début des années 70.
Mais tout commence vraiment en 1914. Joseph Minot, Maître charpentier Compagnon du Devoir, originaire de Montmelas dans le Beaujolais, termine son tour de France – il a travaillé sur le Grand Palais pour l’exposition universelle – et s’installe en janvier comme artisan rue Montesquieu à Villefranche. Hélas, ses débuts sont vite abrégés par son appel sous les drapeaux. Blessé en 1917, il reprend ses activités en 1919, notamment pour les Chantiers du Beaujolais.
Joseph a deux enfants, Paul et Jean, qui intègrent l’entreprise et avec lesquels il fonde « Minot et ses fils SARL » … en 1939. Comme son père en 14, Jean est mobilisé. Joseph et Paul poursuivent l’activité tant bien que mal, en participant à la construction de hangars pour les Chantiers du Beaujolais qui fabriquent du matériel de guerre, et pour des opérations de levage, spécialité réservée aux charpentiers de l’époque.
En 1945, vient l’heure de la reconstruction. Avec Jean, revenu en 1940 et Paul jusqu‘en 1966, l’entreprise va participer au boom économique de l’après-guerre. « Notre grand-père Jean et son frère ont élargi le spectre de compétences de l’entreprise, ils ont construit des poulaillers, des chalets, des pupitres d’écoliers, de la menuiserie » évoque aujourd’hui Samuel.
L’entreprise grossit, elle compte une quinzaine de salariés. Et innove, en se diversifiant, on vient de le voir, mais aussi en intégrant de nouvelles techniques, la charpente triangulée et le lamellé-collé. Dans les années 60, le métier de couvreur s’ajoute au panel proposé. Les compagnons travaillent pour des industriels ou des particuliers, et plus seulement sur Villefranche.
Nouvelle succession, séquence industrialisation
Jean a deux fils, Georges et son frère ainé Jean-Claude, ingénieur ECAM. Mais Jean-Claude va vite quitter l’entreprise, il ne reste qu’une année. « C’est notre père Georges qui a donné une dimension départementale et un peu régionale à l’entreprise pour des travaux d’après-guerre, il a développé la charpente industrielle – c’est lui qui a pressé les premières fermettes industrielles avec du gousset contreplaqué collé – la surélévation de toiture dès 1986, il développe la couverture et la zinguerie, fait de la maison en bois, de la pose de Velux, il a essayé énormément de choses et monté l’entreprise à une centaine de personnes ».
Georges Minot est aussi à l’origine du virage vers l’industrialisation des charpentes aujourd’hui fer de lance du groupe. « Avant, nous posions ce que nous fabriquions. Notre père a décidé de fabriquer pour les autres. Il s’est lancé avec un équipement industriel dédié, dans la préfabrication des charpentes sur site, grâce au dispositif de fermettes ». C’est lui aussi qui fait déménager l’entreprise de la rue Montesquieu à Arnas, sur deux hectares. C’était en 1984.
Georges n’a pas connu de grandes guerres mondiales mais a subi des crises. En 1971, l’ensemble des ateliers et des locaux de la rue Montesquieu sont dévastés par un incendie. « Juste au moment où notre père reprenait la direction de l’entreprise, cela a failli lui être fatal. Il s’en est remis mais cela a été très compliqué. Il lui a fallu repartir de zéro. Heureusement c’était pendant les trente glorieuses ». En 1992 et 1993, c’est la crise pétrolière, le marché s’effondre. « Ces crises nous ont acculturés à une prudence de gestion. Ce qui nous intéresse c’est la pérennité, la solidité de nos engagements », juge aujourd’hui Samuel Minot.
Georges a quitté l’entreprise en 2006, à 60 ans. Laissant le navire à deux de ses quatre enfants, Bertrand (ECAM) et Samuel (ESTP) entrés respectivement dans le groupe en 1995 et 1999. « Notre père a été habile, nous n’imaginions pas du tout intégrer aussi vite l’entreprise, il a su nous convaincre tout en nous laissant le choix ». Les deux frères n’ont pas de formation compagnonnique, ni technique, mais de solides bases pour se répartir la direction du groupe Minot. « Bertrand a pris la partie gestion-process-industrialisation, moi la partie gestion de la construction, et nous avons allié nos compétences. Lui dans la gestion, moi dans le commercial. Notre duo fonctionne car nous sommes très différents donc complémentaires ».
Lorsqu’ils reprennent l’entreprise Bertrand et Samuel héritent d’une entreprise régionale, avec énormément de métiers. Ils choisissent d’en garder trois sur lesquels assoir le développement : le métier historique de charpentier-couvreur-zingueur mais plutôt dédié aux ouvrages complexes, en neuf, équipements collectifs, logements, etc… ce qui fait tourner l’outil industriel lancé par leur père, la fabrication de charpentes pour les charpentiers, le deuxième métier essentiel du groupe. Et ils conservent également la surélévation de toitures.
Avec eux, le groupe Minot s’est lancé dans la croissance externe, avec des unités situées dans les régions Aura et Bourgogne, mais aussi autour de Bordeaux, Poitiers, ou Nantes. Avec une philosophie héritée de l’expérience des trois générations précédentes. « Nous vivons des cycles, des crises et des périodes de forte croissance. Les entreprises familiales ont peut-être plus que les autres une culture de la prudence, lorsque nous avons un projet nous attendons qu’il soit consolidé, mature, solide, avant d’en attaquer un deuxième. Nous aurions pu avoir des croissances beaucoup plus rapides, à deux chiffres, mais nous sommes plutôt enclins à construire un modèle inscrit sur son territoire national, avec des installations industrielles qui servent la construction bois en charpente industrielle, en fermettes, en ossature bois, en lamellé-collé maintenant, à Poitiers. Nous essayons d’assoir des solutions techniques fiables avec un niveau de service important pour les charpentiers, les constructeurs, les promoteurs immobiliers, et les services publics ».
Une philosophie qui risque de s’avérer utile dans les mois qui viennent, tant la crise du logement neuf inquiète Samuel Minot. « La difficulté du métier d’industriel est de s’engager pour des cycles d’investissement-amortissement de quinze-vingt ans, à coup sûr nous allons subir une crise. Et aujourd’hui elle est là, nous sommes sur un marché qui va faire -30% ».
Mais les Minot ont les reins solides et la prudence des caladois. Tant mieux, il y a déjà deux petits Minot, cinquième génération, en école d’ingénieur.
Après Joseph le fondateur, Jean l’inventeur, le créatif, Georges, le développeur, Bertrand et Samuel cherchent « à créer de la performance, des modèles économiques qui fonctionnent et créent de la valeur », explique Samuel.
Plus qu’un viatique, une assurance-vie.
A lire dans l’édition du Journal du BTP du 14 décembre 2023
Publications similaires :
- Pierre-Marie Galien : « Je pense qu’il y aura du travail. Il faut juste aller le chercher »
- Oriane Viguier : « Nous entrons dans une conjonction d’éléments peu favorable au Bâtiment »
- Joffrey Delescluse : « L’inflation génère des désordres sur le marché »
- Edouard Poisson : « Je souhaite que notre groupe reste un lieu de convivialité, de respiration »