Sagas familiales : 8 – Les Vassivière à Lyon, six générations de maçons et bientôt sept…

Deux, trois, quatre générations et parfois plus encore. Le monde du BTP regorge d’histoires familiales où le mot transmission est écrit en lettres capitales. Transmission de valeurs, de savoir-faire, de l’art de construire tout simplement, synonyme de sens et de fierté. L’exemple, l’exemplarité des parents artisans ou patrons de TPE, PME voire ETI, est le levier d’engagements qui méritent que l’on s’y attarde. A la fédération BTP Rhône et Métropole, les sagas familiales de certains adhérents sont connues, d’autres moins. Nous avons donc décidé de vous présenter sous forme de série quelques-unes d’entre elles.

Guy Vassivière : « Je ne suis pas le propriétaire de l’entreprise, je suis juste un maillon de la chaîne »

La saga des Vassivière aurait pu s’interrompre en 1994, en même temps qu’une myriade d’autres entreprises touchées par la crise de ces années noires. 50 000 emplois perdus dans le bâtiment en 1993, 30 000 en 1994, le navire de la rue Nicolaï, dans le 7e arrondissement de Lyon, tangue dans la tempête et finit par déposer le bilan.

A la barre, Georges Vassivière, né en 1925, « très connu à la fédération, affable, bon technicien mais surtout excellent commercial », raconte aujourd’hui son fils Guy, gouvernait « à l’ancienne » une équipe de cinquante personnes spécialisée dans le gros œuvre et les travaux de maçonnerie : « il ne voulait pas se séparer de ses amis compagnons. Il était très proche d’eux, ils étaient tous comme des membres de la famille ».

Résultat, avec une activité en berne et toujours autant de compagnons, la trésorerie ne résiste pas.

Malgré les mises en garde, Guy, déjà présent dans l’entreprise depuis les années 80, se propose de reprendre l’entreprise. « J’aurais pu repartir de zéro, créer ma propre société. Mais il y avait le nom, la qualité de notre travail était reconnue, notre réputation n’était plus à faire, il y avait des contrats, des marchés en cours, plein de choses positives ».

Lucien et ses compagnons

Guy choisit donc d’accepter la succession. Il prend les rênes et les dettes. Garde une vingtaine de compagnons et convainc son père de le laisser faire. « Le dépôt de bilan a suffisamment été dur, mon père l’a très mal vécu ». Le nouveau patron s’investit à fond, il lui faut « sauver le nom et la réputation de la famille. Nous avons toujours été très fiers de notre entreprise, même si ce n’est pas une grosse structure ». En six ans, il rembourse tout, lève les hypothèques, et redonne des couleurs à la trésorerie.

Aujourd’hui, l’entreprise Vassivière tourne avec une quinzaine de compagnons et s’est spécialisée dans les travaux « délicats » de maçonnerie. Les travaux connexes sont externalisés. En cas de suractivité, Guy emploie des intérimaires, mais fait surtout travailler en sous-traitance des artisans fiables qu’il connaît depuis des années, et qui sont pour la plupart adhérents de la fédération BTP Rhône, où Guy a siégé pendant douze ans comme vice-président et président de la chambre de Maçonnerie-Rénovation.
« Nous travaillons pour une clientèle administrative, industrielle, et des régies d’immeuble », précise-t-il.  « Les clients apprécient de nous voir car nous leur amenons des solutions sur des situations complexes. Notre structure nous permet d’être souples et agiles. Notre réactivité n’est plus à démontrer ».

Sa philosophie ? « Quand une entreprise jouit d’une bonne réputation, c’est plus simple pour elle de faire du résultat avec du savoir-faire et de la qualité. Se battre sur le volume n’amène pas grand-chose. Pas dans nos activités ».

Mais revenons au début de l’aventure.
Les ancêtres de la famille Vassivière étaient de la Haute-Vienne, à la frontière avec la Creuse, cultivateurs de métier. Comme leurs terres étaient caillouteuses, ils venaient en saison dans les grandes villes, sept à neuf mois par an, pour réaliser des travaux de bâtiment.
Le premier Vassivière à créer une entreprise à Lyon s’appelle Louis. On est en 1803, et l’entreprise prend vite de l’ampleur. Les hommes de Peyrat-le-Château sont durs à la tâche, et connaissent le métier de maçon. Louis fait venir ses cousins, et notamment Léonard Joseph, le véritable premier Vassivière de la lignée de Georges et Guy. L’entreprise est florissante, Léonard compte jusqu’à 70 salariés, embauchés à la tâche. Son fils Joseph est brillant ; il réussit Centrale Lyon en 1888. Son diplôme est encore affiché au siège des Vassivière sixième et septième du nom. Il succède à son père en 1903 et dirige l’entreprise vers la fumisterie industrielle. Il dépose quelques brevets, et devient spécialiste en fours à pain, carneaux et cheminées coniques en briques réfractaires, avant son décès accidentel en 1916.
 
L’entreprise doit alors suspendre son activité. Son fils Lucien, parti sous les drapeaux, reprend l’entreprise en 1920, convaincu par son cousin Albert Dumas avec qui il s’associe.
 

Activité réduite pendant la seconde guerre
En 1927, Lucien rachète la totalité des parts, et devient seul patron. Entretemps, il a racheté les murs de la rue Nicolaï, « une bonne opportunité » juge Guy. « Il avait le sens du commerce. L’entreprise s’est bien portée jusqu’à sa mort en 1958. Pendant la seconde guerre, elle est restée en activité réduite avec 6 ouvriers ».  
 
« L’après-guerre n’a pas été aussi facile qu’on le pense, entre 1945 et 1949, on chiffrait les dommages de guerre. La vraie reconstruction s’est opérée dans les années 50-60. Mon père Georges, qui travaillait à ses côtés depuis ses 24 ans, achète le premier camion en 1949, un Renault, et des étais métalliques, une révolution. C’est lui aussi en avance sur son temps qui instaure le calcul des prix de revient sur tous les chantiers ». Il prend la suite comme patron en 1958 et relance l’entreprise qui passe de quinze à cinquante salariés.
 
Aujourd’hui Guy a 66 ans. « Je ne suis pas un communicant, mais un technicien qui aime le travail bien fait. J’assure le quotidien, je fais en sorte que la boîte tourne », assure-t-il alors que sa faconde, son sourire, et son sens de l’autre condamnent ses propos. Son épouse Sylvie, gère tout l’administratif et surtout les appels d’offre.
 
Et puis il y a Pierre, 28 ans, passé par une école de commerce (INSEEC), il est chargé d’affaires et conducteur de travaux.
 
« Je ne suis pas le propriétaire de l’entreprise, je n’ai pas cette notion, je suis juste un maillon de la chaîne. L’entreprise a fait vivre cinq générations de Vassivière ; je suis heureux que Pierre s’intéresse au métier, je l’accompagnerai le temps qu’il faut », promet Guy.
 
« Je n’ai pas encore toutes les armes en main », confirme Pierre. Mais il se prépare, à reprendre l’entreprise familiale qui – on l’a vu – a tout connu.
 
« Dans tous les métiers, il y a un savoir-faire. Il faut juste bien faire ce que l’on sait faire », souhaite conclure Guy. Qui n’est pas d’accord avec lui ?