Audace et vision à long terme. SYTRAL Mobilités a choisi de construire trois des quatre sous-stations du tramway T6 Nord – des locaux techniques – en pisé, une terre crue bien connue des habitants du Dauphiné et du Lyonnais. Les propriétés du pisé, terre de construction ancestrale abandonnée avec l’arrivée de l’ogre béton, en font un matériau d’avenir dans la quête retrouvée de développement durable.
Une belle histoire insufflée par le groupement de maîtrise d’œuvre conduit par les architectes Gautier-Conquet et par le Groupe MD (basé à Mions) dont la responsable du développement et des innovations, Sophie Montmartin, a accepté de répondre à nos questions.
Sophie Montmartin : « les propriétés du pisé en font un matériau d’avenir »
Comment le pisé s’est imposé sur le chantier du prolongement du Tramway T6 ?
A l’origine, le programme prévoyait quatre sous-stations par défaut en béton sur le parcours du tram T6. SYTRAL Mobilités a néanmoins demandé à la maitrise d’œuvre générale et son architecte urbaniste Gautier Conquet et Associés (avec EGIS en pilotage et conception et APAVE en bureau de contrôle) – de proposer des alternatives au béton, plus respectueuse de l’environnement. Les architectes ont lancé parmi d’autres l’idée du pisé et convaincu SYTRAL Mobilités. Sur ce projet, nous avions comme partenaires TCND et Biogéoconstruction pour le pisé.
Construire en pisé ne s’invente pas. Vos compagnons de MD Construction et Ruiz avaient conservé le savoir-faire ? Vous avez fait appel aux plus anciens ?
Nos compagnons sont tous des maçons aguerris, mais connaissaient le pisé uniquement par le biais de réparations d’ouvrages, ou de murs de clôture à reprendre… En fait, avec nos partenaires, nous avions pressenti qu’il y avait un potentiel à développer pour ce type de construction en pisé en lien avec le développement durable. Ainsi, en début d’année, nous avons formé nos équipes de MD Construction et Ruiz, dans l’entreprise, avec banches et terre crue. Nous avons aussi pisé de manière traditionnelle, couche par couche, 10 cm par 10 cm, damé manuellement, et enduit de chaux. Bref, nous savions faire.
Le pisé, c’est quoi ?
C’est de la terre crue, très répandue sur un territoire géographique situé entre le Dauphiné et Lyon, zones où il y avait d’anciennes moraines glacières. De la terre crue que l’on trouve sous les 20 cm de terre végétale, et considérée dans l’époque post-industrielle comme un déchet. C’est un mélange de sédiments et d’argiles : la terre à bâtir.
Pourquoi le redécouvre t-on aujourd’hui ?
Il s’agit d’un matériau 100% recyclable et local. C’est la base de la construction durable. Le pisé offre aussi une inertie énorme, vu les propriétés de la terre et l’épaisseur des murs construits – 50 cm au lieu de 16-20 pour le béton – avec un excellent déphasage permettant en été de conserver la fraicheur et en hiver de bloquer l’entrée du froid. Sur le chantier du prolongement du tramway T6, les sous-stations sont des locaux dans lesquels fonctionnent de nombreux équipements électriques et informatiques qui produisent de la chaleur. L’utilisation du pisé va permettre de moins faire appel à la climatisation.
Les murs de pisé se construisent toujours comme le faisaient les anciens ?
Oui. Nous avons juste choisi, par manque de place sur le site – dont une sous-station à édifier dans une cour d’école – de préfabriquer les blocs en atelier, livrés et assemblés sur le chantier. D’ordinaire les artisans pisent sur place. Heureusement que nous avions choisi cette option, car vu les conditions météo du printemps dernier, nous n’aurions pas pu garantir un taux constant d’hygrométrie, et donc pas pu édifier les murs dans de bonnes conditions. Ce mode constructif en préfabriqué permet également de répondre aux problématiques de délais contraints puisque les blocs sont fabriqués à l’avance en atelier.
Le Groupe MD et vos filiales MD Construction et Ruiz sont prêts pour construire des immeubles en pisé ?
Il n’y a pas aujourd’hui de règles de construction, de normes. Tout a été conçu pour le béton. Il est donc compliqué de construire en pisé : il faut un assureur convaincu, un bureau de contrôle associé à la maîtrise d’œuvre dès le départ, et un maître d ‘ouvrage audacieux pour valider ce type de construction. Les autorisations se font donc projet par projet. Mais construire dans l’avenir un immeuble de deux-trois étages, pourquoi pas ? Il n’y a aucune raison que cela ne tienne pas. Et je le répète, l’ensemble des propriétés du pisé en font un matériau d’avenir, séduisant pour les maîtres d’ouvrage confrontés au respect de la RE2020, au calcul des bilans carbone, etc..
À lire dans l’édition du 24 octobre du Journal du BTP